" Traité de l'art des accouchements ".
Par Pr. S Tarnier** et Pr. P Budin
Tome 4,
G. Steinheil, Libraire-Editeur
Paris, 1901

Douzième section
Des opérations obstétricales

Chapitre I

Du forceps


Chapitre II


Du levier


Définition. — Le levier des accoucheurs, vectis obstetricius, est un instrument rigide destiné à agir sur la tête du foetus pour la forcer à descendre dans le canal pelvi-génital.


Historique. —Les origines du levier sont entourées d'obscurité. On attribue généralement cet instrument à Roonhuysen. Pourtant Mulder pense que Hugli Chamberlen en serait l'inventeur et l'aurait fait connaître à Roonhuysen en 1693. Le forceps et le levier proviendraient ainsi de la même source.
D'abord tenu secret, le levier ne fut livré à la publicité qu'en 1753 par Jacques de Vischer et Hugo Van de Poli, médecins d'Amsterdam.
Les modèles primitifs consistaient « en une tige de fer ou d'acier d'une longueur et d'une largeur variables, présentant à ses extrémités deux courbures d'une grandeur inégale dirigées dans le même sens, ou une seule, l'autre extrémité se terminant par un manche diversement configuré » (Jacquemier).
Préconisé par les Hollandais, le levier fut combattu par les partisans du forceps ; une querelle célèbre s'éleva entre Herbiniaux (de Bruxelles) et Baudelocque, le premier soutenant avec ardeur la cause du levier. Malgré son argumentation véhémente et quelquefois discutable dans la forme comme dans le fond, Baudelocque ne se montra pas adversaire irréductible ; il fit même construire un levier qui ressemble à une branche de forceps.
Depuis, Boddaert, Coppée et Fraeys (de Gand), Fabbri (de Bologne), Marchant (de Charenton) furent les principaux défenseurs du levier.
Dès 1782, Herbiniaux avait préconisé l'emploi d'un lacs tracteur attaché à la partie moyenne du levier (fig. 127), et cette modification est, comme on le verra plus loin, fort importante.
Au début, on avait trouvé, noué autour du levier de Roonhuysen, un bout de cordelette, sans en soupçonner d'abord l'utilité ; aussi Désormeaux présume-t-il qu'Herbiniaux a eu des précurseurs. Il eut en tout cas des imitateurs, et entre autres Eugène Hubert.
Employé fréquemment en Hollande et en Belgique, le levier se répandit peu en France. Jacquemier lui consacra pourtant une étude importante. D'autre part Tarnier, ayant assisté à une expérience de Fabbri et l'ayant et l'ayant répétée avec succès, émit l'opinion que le levier, soutenu par des hommes tels que Boddaert, Fabbri, etc., méritait d'être pris en sérieuse considération. Il consacra quelques pages à cet instrument, d'abord dans son Atlas complémentaire de tous les Traités d'accouchement, puis dans ses additions au Traité de Cazeaux. Il inventa lui-même un double levier (fig. 128).
Nous avons vu plus haut (page 243) que le forceps remplit parfois les fonctions du levier. Une branche isolée de l'instrument de Chamberlen ressemble en effet beaucoup, comme forme et comme effet produit, à celui de Roonhuysen. Il en est autrement lorsque les deux branches du forceps sont articulées.
Dans cet ordre d'idées, le professeur Farabeuf, en 1894, fit construire ce qu'il appelle le mensurateur levier-préhenseur : cet instrument saisit la tète entre deux cuillers, très comparables à celles d'un forceps et il agit bien plus comme un forceps que comme un levier. Nous reviendrons plus loin sur ce sujet (voir page 318).
Malgré tout, dans notre pays, le levier est resté presque oublié: c'est qu'on l'a sans cesse comparé avec le forceps, comme s'il convenait aux mêmes cas, et une pareille comparaison ne pouvait que lui être désavantageuse. Mais le dernier mot n'est sans doute pas di t; on peut légitimement penser que l'instrument de Roonhuysen ou d'Herbiniaux trouvera des indications suffisamment précises pour rendre parfois des services, à côté du forceps. Toute comparaison, toute lutte entre les deux est forcément stérile : chacun d'eux doit avoir son domaine propre et ses applications spéciales.
A la vérité, il faut soigneusement distinguer les instruments qui agissent d'un seul côté de la tête foetale, comme le levier proprement dit, de ceux dont on se sert comme d'une pince, et dont on place une branche à l'extrémité d'un diamètre céphalique et l'autre branche à l'extrémité opposée du même diamètre. Quel que soit le nom qu'on leur donne, ces derniers instruments se comportent comme le forceps.
Nous étudierons d'abord le levier proprement dit, et nous parlerons dans un chapitre particulier du mensurateur levier-préhenseur de M. Farabeuf.


1. — Levier proprement dit.

Ses modes d'action. Comme le forceps, le levier est un excitant de la contraction utérine; mais ce n'est là qu'une propriété d'importance secondaire.
Roonhuysen et ses successeurs employaient très fréquemment le levier pour dégager la tête arrêtée dans l'excavation pelvienne ; dès qu'elle cessait de progresser pour quelque cause que ce fût, ils la considéraient comme enclavée, suivant une expression usuelle à cette époque, mais très souvent inexacte ; ils avaient alors recours au levier dont ils adaptaient la cuiller à la partie de
la tête foetale dirigée vers l'arc antérieur du bassin. L'instrument prenait point d'appui sur l'arcade du pubis . la puissance était appliquée à l'extrémité du manche par l'accoucheur qui le soulevait de bas en haut, vers le ventre de la femme ; la résistance se trouvait soumise à l'action de la cuiller introduite dans les voies génitales.
En élevant le manche de l'instrument, on abaisse la cuiller et, avec elle, la tête sous-jacente; on la porte en même temps en arrière, c'est-à-dire à la fois vers la paroi postérieure du canal pelvien et vers le plancher périnéal.
Si le sommet a normalement et complètement effectué sa rotation, le levier s'appliquera sur l'occiput, et aura pour effet de repousser la tête en arrière, de l'abaisser et de la fléchir. Or, dans le mécanisme du dégagement spontané en occipito-pubienne, la tête, en position directe, se fléchit d'abord au maximum jusqu'à ce que le sous-occiput vienne en contact avec le sous-pubis;
on conçoit que le levier puisse rendre service dans cette première partie du dégagement.
Plus tard, quand le sous-occiput est en rapport avec le sous-pubis, le dégagement de la tête va s'opérer par déflexion, le sommet se portant de plus en plus en avant et en haut; il est évident que, dans cette évolution, le levier appliqué sous la symphyse ne saurait être que nuisible, d'une part en s'opposant à la déflexion naturelle, et d'autre part en menaçant gravement le périnée sous la poussée en arrière imprimée par l'instrument à la tête foetale.
Dans l'excavation, le sommet, avant d'avoir tourné en position directe, se trouve en position oblique, l'occiput dirigé par exemple en avant et à gauche. En pareille circonstance, la cuiller du levier, appliquée comme d'habitude juste derrière la symphyse pubienne, se trouve en rapport, non plus exactement avec l'occiput, mais avec la région mastoïdienne. L'instrument va encore fléchir là tête, la pousser en arrière et l'abaisser ; les considérations exposées plus haut à propos de la position occipito-pubienne retrouvent ici leur place, avec cette aggravation que, la rotation n'étant pas faite, le dégagement n'en sera que plus difficile et plus dangereux encore pour le périnée. Bien mieux, le levier aurait tendance à empêcher la rotation et même à l'effectuer vicieusement, s'il s'appuie sur la région mastoïdienne en la repoussant en arrière et en transformant une occipito-antérieure gauche en occipito-transverse.
Les expériences sur le mannequin montrent que le levier a très peu de puissance pour faire tourner la tête qui reste, malgré tous les efforts, en occipito-antérieure oblique. En pratique, cependant, les partisans du levier citent des observations où la rotation de la tête se serait effectuée facilement sous l'action de cet instrument.
Si le sommet dans l'excavation est en oblique postérieure, le levier placé comme d'habitude va s'appliquer sur la bosse frontale dirigée en avant; la région orbitaire est menacée, et l'oeil plus ou moins atteint ; aussi jacquemier range-t-il, comme ses prédécesseurs, les positions occipito-postérieures parmi les contre-indications formelles du levier. Il y a, du reste, à considérer autre chose que les lésions auxquelles le foetus est exposé en pareil cas : le mécanisme normal de l'accouchement se trouve, en effet, contrarié au plus haut point par l'action du levier : la pression de la cuiller abaisserait, en effet, la bosse frontale, augmenterait la déflexion déjà si souvent fâcheuse dans les positions postérieures, et produirait ainsi un véritable enclavement avec ses conséquences.
Ici, comme dans les positions obliques antérieures, le levier n'a guère d'efficacité pour faire tourner la tête : théoriquement, la bosse frontale antérieure étant repoussée en arrière par la cuiller, on conclurait volontiers à l'utilité de la manoeuvre; mais l'expérimentation montre que la transformation d'une occipito-postérieure oblique en position transverse et à plus forte raison en
antérieure, exige un déploiement de force assez considérable qui serait nuisible à l'intégrité des régions faciale, orbitaire, etc., de la tête foetale. Reste l'épreuve clinique, qui n'est pas suffisante aujourd'hui pour conclure.
Dans les positions occipito-sacrées, le levier irait évidemment à l'encontre du mécanisme naturel.
Sur les présentations de la face ou du siège dans l'excavation, le levier appliqué sous la symphyse pubienne ne serait ni plus utile ni plus inoffensif que sur le sommet.

Que se passe-t-il lorsque la tête, en présentation du sommet, se trouve au détroit supérieur ? Le plus souvent, elle est en position transverse comme dans les bassins plats, ou en position oblique comme dans les bassins généralement rétrécis.
Supposons d'abord que le sommet au détroit supérieur est en position transverse, avec asynclitisme et présentation du pariétal postérieur ; c'est là le cas le plus fréquent. Si l'on peut arriver à mettre le levier entre la symphyse pubienne et l'extrémité céphalique, c'est-à-dire à la place habituellement donnée à cet instrument, il va repousser en arrière la bosse pariétale antérieure sur laquelle il s'applique, et en même temps abaisser la tête dans l'excavation. Le résultat est très favorable, conforme au mécanisme naturel ; l'expérimentation, telle que l'avaient conduite Fabbri et Tarnier, s'accorde avec la théorie sur ce point.

Avec une présentation du pariétal antérieur, le levier placé derrière et sous la symphyse pubienne mènerait à un échec inévitable ; en effet, dans ce cas l'instrument ne ferait qu'augmenter l'asynclitisme, bien loin de le corriger, et encore en supposant qu'il ne lâche pas prise immédiatement.
Dans un bassin généralement rétréci, la tête est le plus souvent fléchie à l'extrême et en position oblique, au détroit supérieur. Si, dans ce cas, le levier est appliqué sous et derrière la symphyse pubienne, il agit non plus sur une région latérale de la tête, mais sur les environs de l'apophyse mastoïde, lorsque la position est oblique antérieure. La flexion sera ainsi maintenue, et l'engagement de la présentation pourra se faire. On a réussi plusieurs fois en pareille circonstance, et le levier a été considéré comme supérieur au forceps, à cet égard (Observations de Marchant, de Pazzi, etc.). Quand au contraire, au détroit supérieur rétréci dans tous ses diamètres, la tête est placée en position oblique postérieure, la cuiller du levier s'appuie sur la bosse frontale antérieure ; elle contrarie ainsi le mouvement de flexion, et elle est plus nuisible qu'utile.
Dans tous les cas qui ont été examinés jusqu'ici, le levier prend appui par un point situé entre ses deux extrémités, sur le bord inférieur de la symphyse pubienne. Les parties molles de la région, et principalement l'urètre, sont exposés à des contusions, à des attritions toujours fâcheuses ; c'est là un des grands reproches qu'on a faits à l'instrument de Roonhuysen. On a essayé de parer à cet inconvénient. C'est ainsi qu'on peut transporter le point d'appui à l'extrémité du manche, en le maintenant fixe avec une main, tandis que l'autre applique la puissance à la partie moyenne de l'instrument en pressant de haut en bas. On a aussi conseillé de relever d'une main le manche du levier, au lieu de le laisser fixe, pendant que l'autre presse de haut en bas sur la partie moyenne de l'instrument, comme dans la manoeuvre précédente.
Le double levier de Tarnier poursuit le but de sauvegarder l'urètre en donnant à l'instrument un double point d'appui sur les branches descendantes du pubis, entre lesquelles les parties molles échappent aux pressions dangereuses.
Enfin, on a tenté encore de placer le point fixe entre les deux extrémités du levier, au moyen d'un lacs attaché entre la puissance et la résistance, et tendu par des tractions dirigées de haut en bas.
Ce procédé nous conduit à étudier un autre mode d'action du levier, le plus important peut-être, et le moins dangereux. A la manière d'Herbiniaux. d'Hubert fils, etc., on attache un lacs à la partie moyenne de l'instrument ; on tire sur ce lacs, d'une main, et de l'autre on tire sur le manche. A la vérité, l'instrument n'agit plus alors à la façon d'un levier, au sens propre du mot ; il mérite mieux dans ce cas le nom de tractor que lui donnait Burns, ou celui de crochet mousse employé par Désormeaux pour le désigner. On conçoit, en effet, que la cuiller concave, adaptée à la convexité de la tête, puisse l'amener vers l'opérateur comme ferait un crochet, à la condition que le manche soit maintenu de manière à éviter le dérapement. Placé comme d'habitude sous
la symphyse pubienne, le levier manié à la façon d'Herbiniaux tiendra solidement si le manche est repoussé en haut, pendant que le lien tracteur attire tout le système en bas et en avant.
De plus, ce mode opératoire permet de placer le levier ailleurs que sous la symphyse pubienne. On peut par exemple porter la cuiller à l'extrémité antérieure d'un diamètre oblique, et même à l'une des extrémités du diamètre transverse du bassin. Si l'on voulait prendre appui sur la branche ischio-pubienne comme sous la symphyse, on glisserait infailliblement en raison de l'obliquité de cette branche et de l'absence de tout point d'arrêt. Mais en tirant sur le manche dans l'axe de la cuiller, à. la condition d'appuyer cette cuiller sur la tête foetale au moyen du lacs tracteur attaché à sa base, on a une prise solide ; il en sera de même si la cuiller est étroitement accolée à la tête par une paroi vagino-vulvaire résistante. C'est ce qu'on voit chez les primipares, quand le sommet étant près de franchir l'orifice vulvaire en occipito-pubienne entre les cuillers du forceps, et le périnée étant menacé,
on ôte une des branches sans pour cela lâcher prise : car avec l'autre branche maintenue en place, on peut attirer la tête comme avec un crochet mousse.


C'est en procédant de la même manière que, dans l'excavation, on a le pouvoir de fléchir la tête en appuyant avec le levier sur la région occipitale, et en exerçant des tractions sur le lacs attaché à la partie moyenne de l'instrument. L'occiput. s'abaisse en effet, et la présentation descend. Mais ici l'expérimentation montre que, une fois la flexion complète obtenue, le levier dérape facilement, parce que l'extrémité de sa cuiller, arrêtée au niveau de la nuque, n'accroche plus la saillie mousse que forme l'occiput d'une tête défléchie et qui s'efface, au contraire, pendant la flexion.
Il est encore d'autres circonstances où on a employé le levier. Ainsi, Coppée et Fraeys l'ont appliqué sur la tête après la sortie du tronc. En outre, selon Coppée également, quand une présentation de la face est élevée, en position transversale, et même toutes les fois qu'elle n'a pas franchi le détroit supérieur, le levier serait préférable au forceps. (E. Hubert.)
Dans la crâniotomie « lorsque la tête est mobile, Coppée commence par la fixer au moyen d'un levier, qu'il confie à un aide pendant qu'il pratique la perforation : il se sert ensuite du levier pour comprimer, aplatir et extraire le crâne ». (E. Hubert.)
En résumé, le levier obstétrical agit :
1° Ou bien comme un véritable levier (mais, pour être inoffensif à l'égard des parties maternelles, il ne doit pas s'appuyer sous la symphyse pubienne) ;
2° Ou bien comme un crochet mousse (et dans ce cas, le lien tracteur d'Herhiniaux rend les plus grands services. On ne peut, d'ailleurs, s'empêcher de voir dans cet instrument un précurseur du forceps à tractions indépendantes de l'appareil préhenseur).
Les conditions requises pour l'application du levier sont à peu près les mêmes que pour le forceps :
Le bassin ne doit pas être trop petit par rapport à la tête ;
Les membranes de l'oeuf doivent être rompues pour éviter le dérapement d'une part, et d'autre part le décollement prématuré du placenta.
L'orifice utérin doit être assez large, avant tout pour admettre le levier, mais aussi pour permettre à l'extrémité céphalique de descendre sans obstacle.
Le col incomplètement dilaté pourrait gêner, en formant bride au-dessous de la tète par celle de ses lèvres qui échappe à l'action de l'instrument.


Indications. On ne peut plus guère aujourd'hui considérer le levier comme un instrument d'extraction. Il a surtout pour effet d'abaisser la tête et de modifier son attitude.
Les présentations du sommet sont seules en question.
Ainsi compris, le levier peut rendre des services à la vulve, dans l'excavation et au détroit supérieur.
A la vulve, nous savons déjà qu'à la fin d'une application de forceps chez une primipare, la tête menaçant le périnée, une des branches peut être retirée, l'autre restant en place et pouvant terminer l'extraction en agissant
comme un crochet mousse (voir page 314).
Dans l'excavation, le levier cède presque toujours le pas au forceps. Cependant, appliqué sur une tête mal fléchie, il est capable d'abaisser l'occiput, à la condition d'être employé comme un crochet mousse. La flexion une fois complétée, le levier a terminé son oeuvre.
C'est surtout au détroit supérieur rétréci d'avant en arrière que le levier trouve son indication principale. Si le sommet est en position transversale, avec asynclitisme postérieur ; si la disproportion n'est pas trop grande entre la tête et le canal pelvien; si enfin l'excavation est large par le fait de la localisation de l'angustie à l'entrée du bassin avec intégrité de la concavité antérieure du sacrum, le levier pourra rendre des services.
Ici encore on emploiera cet instrument plus comme un crochet mous que comme un véritable levier (voir Manuel opératoire), et on évitera ainsi les lésions du crâne foetal si communes dans les applications antéro-postérieur, du forceps. Il faut dire que, dans ces opérations, la branche postérieure ordinairement introduite la première, rétrécit l'excavation en se plaçant au devant de la concavité sacrée, et favorise ainsi l'action néfaste de la branche antérieure arcboutée derrière la symphyse pubienne. Avec le levier, surtout s'il est manié comme un crochet mousse, la tête est abaissée en même temps qu'elle est repoussée en arrière, où elle trouve libre un champ d'évolution suffisant dans la concavité sacrée restée libre.
Si le bassin est généralement rétréci, la tête au détroit supérieur obéira encore au levier, et avantageusement quand elle est en position transverse ou oblique antérieure. Les positions obliques postérieures contre-indiquent l'emploi du levier (voir Mode d'action).
Dans la dystocie du détroit supérieur sans disproportion exagérée du volume de la tête foetale par rapport aux dimensions du bassin, le levier doit trouver sa place entre le forceps et la version. Il peut constituer une ressource précieuse lorsque l'extrémité céphalique reste élevée et que, en même temps, la paroi utérine est rétractée sur le corps foetal, l'application du forceps étant rendue difficile ou impossible par la première de ces deux conditions, et la version par la seconde. La rétraction de l'anneau de Bandl deviendrait ainsi, dans certains cas, une indication du levier.



Manuel opératoire. Point n'est besoin d'un instrument spécial. Une branche de forceps suffit. Les plus commodes seront ou le forceps droit, ou celui dont les branches portent une courbure périnéale sur l'appareil de préhension (premiers modèles de Tarnier; forceps de Crouzat, de Saille . dernier modèle de Demelin, etc.). Dans la fenêtre de la cuiller on passera un lacs quelconque; ou bien on le fixera dans l'orifice qui sert d'attache à la tige de traction, s'il s'agit d'un forceps genre Tarnier.
Les précautions antiseptiques seront prises comme pour toute intervention.
En général, l'application du levier ne sera qu'une opération préliminaire qu'on fera suivre de l'extraction immédiate avec le forceps; aussi l'anesthésie est-elle indiquée le plus souvent.
L'attitude de la parturiente est fort importante. Il convient de mettre la femme dans la position de la taille, c'est-à-dire les cuisses fléchies au maximum sur le bassin, un coussin épais et résistant placé sous la région sacrée et la région lombaire portant à faux. Ces précautions sont nécessaires quand on veut appliquer le levier sur une tête au détroit supérieur ; elles ont pour effet de réduire au minimum l'antéversion du bassin et l'inclinaison du détroit supérieur : plus la symphyse pubienne sera élevée au-dessus de l'angle sacro-vertébral (la femme étant couchée sur le clos), plus le levier pourra être introduit profondément, mieux il s'adaptera à la région céphalique dirigée en avant. Cette attitude de la parturiente est d'autant plus nécessaire que la tête foetale se trouve plus loin de l'orifice vulvaire. Les bassins viciés avec antéversion exagérée rendent pénible ou même quelquefois impossible l'usage du levier. En supposant toujours la femme dans le décubitus dorsal, une symphyse pubienne très bas située se trouve presque sur le même plan horizontal que le promontoire et la portion susjacente du rachis ; dans ces conditions, le levier, surtout efficace et inoffensif quand il est employé comme un crochet mousse, est incapable de saisir solidement la tête du foetus. C'est pourquoi l'attitude de Walcher est ici contre-indiquée malgré le léger agrandissement qu'elle peut donner au diamètre rétréci du détroit supérieur. L'attitude de la taille périnéale diminue sans doute de quelques millimètres les dimensions antéro-postérieures de ce détroit, mais elle rend praticable l'application du levier. C'est l'expérience clinique de l'accoucheur qui décidera si la tête peut descendre ou non, sans subir de pressions dangereuses venant d'un bassin trop étroit.
Examinons maintenant le maniement même de l'instrument.
A la vulve, dans le dernier acte d'une application de forceps, nous savons qu'une branche de cet instrument peut être utilisée comme un levier, l'autre branche ayant été désarticulée et retirée des voies génitales. La tête a été amenée dans l'orifice vulvaire en occipito-pubienne par exemple ; le périnée, sans élasticité, menace de se déchirer et on peut avoir intérêt à ôter une des cuillers du forceps, soit pour faire cesser plus vite une compression facheuse sur une région de la tête irrégulièrement saisie (pression sur la face, par exemple, ou sur le point d'émergence du nerf facial, etc.), soit pour diminuer un peu le volume du système constitué par la tête et l'ellipse instrumentale. On désarticule alors le forceps, on retire la cuiller la plus mal placée ; l'autre reste accolée à la région correspondante de la tête ; on porte légèrement en dehors le manche de cette cuiller, et on exerce sur lui des tractions modérées effectuées d'une seule main, pendant que l'autre main soutient le périnée, arrête l'issue trop prompte de la tête, etc. On évite ainsi la manoeuvre de Ritgen, tout en facilitant la fin du dégagement.
Dans l'excavation, il s'agit le plus souvent, comme on l'a vu, de corriger un défaut de flexion. La cuiller est conduite sur l'occiput, aussi haut que possible ; l'instrument mis en place est solidement tenu d'une main fixant son manche, pendant que l'autre main exerce des tractions modérées sur le lacs attaché à la cuiller. Il faut prendre garde au dérapement qui devient de plus en plus facile à mesure que l'occiput s'abaisse davantage.
Au détroit supérieur, le levier se place derrière et sous l'arc antérieur du bassin, de manière à agir sur la région de la tête dirigée en avant. On introduit l'instrument directement à la place qu'il doit occuper. Voici la manoeuvre classique pour les anciens partisans du levier : d'une main, on va accrocher la lèvre antérieure du col qui est le plus souvent accessible, pour la protéger avec l'extrémité des doigts. La face palmaire de cette main est dirigée en avant, et c'est le long de la face dorsale que l'on conduit le levier. L'instrument tenu par la main restée libre est placé verticalement le manche en bas, de manière que la cuiller, en rapport par sa convexité avec le dos de la main conductrice, pénètre au-devant de la tête. A mesure que la cuiller progresse dans la profondeur, le manche se rapproche de l'horizontale. Il existe encore une autre manière d'introduire le levier : on conduit la cuiller en arrière et sur le côté ; puis, on la ramène en avant, comme dans une application de forceps quand on exécute le tour de spire. Une fois l'instrument placé, les mains changent de position. L'une d'elles soutient le manche du levier ; l'autre appuie de haut en bas sur sa partie moyenne, ou mieux tire de haut en bas sur le lacs tracteur attaché à la cuiller ; à mesure que la tête s'abaisse, le
manche du levier doit se relever, mais en évitant toujours que la partie moyenne de l'instrument vienne appuyer sur le bord inférieur de l'arcade pubienne et contondre les parties molles qui la recouvrent.
Avec le double levier de Tarnier, la manoeuvre est sensiblement la même : les deux cuillers sont placées séparément derrière la symphyse pubienne, et articulées. Une main saisit le manche de l'instrument et le porte en avant et en haut, tandis que l'autre main appuie de haut en bas sur sa partie moyenne.
Quand les effets du levier sont obtenus, on termine l'accouchement par une application de forceps



Pronostic. Les lésions seront moins nombreuses et moins graves si le levier est manié comme un crochet mousse à la façon d'Herbiniaux que s'il est employé comme levier proprement dit, c'est-â-dire en appuyant sur le bord inférieur de l'arcade pubienne. Les contusions du conduit vagino-vulvaire, les attritions et déchirures de l'urètre ont été surtout signalées. Il faudrait
compter aussi avec les plaies produites par le dérapement au moment d'une traction. Les déchirures du périnée étaient fréquentes et profondes â l'époque où on appliquait le levier sur la tête arrivée au détroit inférieur, pour l'extraire
en la repoussant en arrière et bas.
Quant à l'enfant, on a accusé des ecchymoses, des plaies, des enfoncements et des fractures du crâne. Si la cuiller est, par erreur, appliquée sur la face, elle est capable de blesser le globe oculaire plus ou moins grièvement.


2.- Mensurateur-levier-préhenseur.


Le professeur Farabeuf a fait construire un instrument qui se compose de quatre pièces, de cinq avec la cuiller de rechange (cuiller postérieure courte).
Des quatre pièces fondamentales, trois s'articulent et fonctionnent ensemble ; elles constituent l'instrument proprement dit. Ce sont deux cuillers, l'une fixe, l'autre â charnière, montées presque à angle droit sur des manches rectilignes qui glissent l'un sur l'autre, tenus appliqués par une tringle. Celle-ci court sur le manche inférieur longuement fendu pour laisser passer le crochet qui saisit le bouton de charnière de la cuiller antérieure. Entre les crochets, à l'autre bout, la tringle s'agrafe encore au manche supérieur

FIG. 130. — Mensurateur-levier-préhenseur de Farabeuf.
FIG. 131. — Mensurateur-levier-préhenseur appliqué.

avec lequel elle va et vient, tandis que le manche inférieur, celui de la cuil1er postérieure, glisse tout seul entre deux.
La quatrième pièce est tout à fait indépendante : c'est le guide-redresseur indispensable pour atténuer l'inclinaison de la tête et pour guider la cuiller postérieure.
On comprend aisément de quelle manière on mesure le diamètre bipariétal avec cet instrument ; comment aussi on abaisse la bosse pariétale postérieures en relevant le manche ; ou comment, enfin, en le repoussant en bas et en arrière, on abaisse à son tour la bosse pariétale antérieure.
Le levier-préhenseur a, comme dernière propriété, de pouvoir exécuter la rotation interne de la tête.
Avant d'employer cliniquement ce nouvel instrument, Budin a tenu à l'expérimenter : il a pour cela fait usage de bassins de fonte moulés sur des bassins rétrécis, et de foetus morts au moment de l'accouchement ou dans les quelques jours qui avaient suivi leur naissance; et il a vu que, dans un bassin ayant 8 centimètres de promonto-pubien minimum, une tête foetale mesurant
9 centimètres 1/4 de bipariétal et 8 centimètres 1/4 de bitemporal, passait facilement première sous l'influence de simples poussées, ou dernière avec un peu d'expression. La même tête, dans le même bassin, a été entraînée par une application oblique de forceps, mais en déployant une force très notable; l'application antéro-postérieure de forceps et le mensurateur-levier-préhen-
seur ont totalement échoué.(FIG. 132). — Partie du bassin rendue inutilisable par l'application du mensurateur-levier-préhenseur (Budin).
Si on examine l'instrument mis en place, une des cuillers étant en rapport avec l'angle sacro-vertébral et l'autre se trouvant derrière la symphyse pubienne, voici ce qu'on constate : en arrière, la cuiller s'applique sur le promontoire, et la saillie de la première vertèbre sacrée se place dans l'ouverture de la cuiller.
En avant, la courbure très peu convexe transversalement de la cuiller ne s'adapte pas exactement à la concavité de la paroi antérieure du bassin. La cuiller du mensurateur-levier-préhenseur mesure dans son plus grand diamètre transversal 5 centim. 3 ; ses deux bords externes viennent prendre point d'appui sur la surface osseuse, et on voit qu'il reste un espace libre entre la paroi pelvienne et la face externe de la cuiller. Dans la figure 132, qui représente un bassin dont le diamètre promonto-pubien minimum était de 9 centim. 4, cet espace était de 9 millim. 5. Une partie du diamètre promonto-pubien minimum est donc ainsi rendue inutilisable.
Budin a cherché à évaluer cette réduction du diamètre promonto-pubien minimum et il a vu que, dans une série de dix bassins, l'application de la cuiller antérieure derrière le pubis diminue l'étendue du diamètre minimum de 5 millim. 5 à 13 millim. 5. La moyenne des dix bassins mesurés a donné 9 millim. 6, c'est-à-dire bien près d'un centimètre. Cette diminution n'est pas en rapport avec le degré de rétrécissement, mais avec la forme de la paroi pelvienne : si la paroi antérieure du bassin est assez plane, la diminution est moindre ; elle est plus considérable lorsque le pubis fait une saillie accentuée et convexe en avant.
Cette non-utilisation d'une partie du diamètre promonto-pubien minimum joue certainement un rôle pour empêcher la descente de la tête.
Mais le mensurateur-levier-préhenseur doit aussi être employé après la symphyséotomie. « C'est surtout, dit M. Farabeuf, comme mensurateur et extracteur, avant et après cette opération, que j'en attends des services. »
« Il sera, je crois, écrit-il encore, l'instrument d'extraction après la symphyséotomie. »
Budin a recherché quels résultats il donnait. Dans une série d'expériences qu'il rapporte, il a vu qu'après la symphyséotomie et avec un écartement de 4 centimètres :
A. — La tête passe si elle se présente la première et si elle est poussée .par les contractions utérines ;
B. — La tête passe si elle vient la dernière, après la sortie du tronc, et si on exerce de légères tractions sur le maxillaire inférieur.
C. — La tête, se présentant par le sommet, passe si on fait sur elle une application oblique du forceps.
Mais elle ne peut franchir le rétrécissement :
D. — Si on fait une application antéro-postérieure du forceps;
E. — Si on emploie le mensurateur-levier-préhenseur.
La tête peut être entraînée avec une application antéro-postérieure du forceps, si l'écartement du pubis est égal à 5 centimètres.
Enfin, si cet écartement devient égal à 6 centimètres le mensurateur-levier-préhenseur agit efficacement.
Donc, de tous les procédés auxquels on peut avoir recours après la symphyséotomie, c'est le mensurateur-levier-préhenseur qui parait donner les résultats les moins favorables.
Comment peut-on expliquer ces faits ?
La symphyséotomie détermine l'augmentation du diamètre antéro-postérieur du détroit supérieur et elle permet à un segment de la tête, à la bosse pariétale par exemple, ou à une bosse frontale, de venir se placer dans
l'espace devenu libre entre les deux pubis. De la sorte, la tête peut passer poussée par les contractions utérines, ou venant la dernière, ou entraînée par une application soit oblique, soit directe de forceps, quoique, dans ce dernier cas, la pression exercée par les cuillers de l'instrument augmente un peu les diamètres transverses de la tête ou les rende moins réductibles.
Si on fait une application antéro-postérieure de forceps, le passage de la tête est beaucoup plus difficile, sinon impossible, car les bords de la cuiller s'appliquent sur les surfaces osseuses des pubis; une sorte de barrière rigide (FIG. 133).,se trouve établie, qui empêche la convexité du crâne de pénétrer comme précédemment entre les pubis.
Il en est de même avec le mensurateur-levier-préhenseur (voyez fig. 132). Mais la cuiller du forceps est moins large que celle du mensurateur-levierpréhenseur ; â 5 centim. elle peut pénétrer entre les deux pubis ; la tête foetale descend alors. Ce résultat n'est obtenu avec le mensurateur-levier-préhenseur que si l'écrtement des pubis est de près de 6 centimètres .
En effet, l'examen d'un bassin à symphyséotomie dont le diamètre minimum est de 7 centim. 2 donne les résultats suivants :
Si on écarte les pubis de 4 centimètres, le gain qu'on obtient est tel que, entre le promontoire et la convexité du crâne engagée entre les os, la distance est de 9 centimètres. Si on met en place l'instrument de Farabeuf, la distance entre le promontoire et la convexité de la cuiller n'est que de 8 centimètres (voyez fig. 133).
La méthode qui consiste à employer l'instrument de M. Farabeuf après la symphyséotomie est donc celle qui nécessite l'écartement le plus considérable des pubis.
Il n'est pas douteux que, dans un certain nombre de cas, l'application du mensurateur-levier-préhenseur permettra d'extraire des enfants vivants dans les bassins rétrécis; si, par exemple, le diamètre promonto-pubien minimum mesure 10 centimètres et le diamètre bipariétal 9 centimètres, on réussira à faire descendre la tête. Il en sera de même après la symphyséotomie. Mais dans tous ces cas les contractions utérines, la version ou le forceps auraient été beaucoup plus efficaces.
A maintes reprises, Budin a répété ces diverses expériences en utilisant des foetus plus gros ou des foetus plus petits, des bassins plus larges ou des bassins moins grands : il a toujours obtenu des résultats analogues.
Le mensurateur-levier-préhenseur étant un instrument complexe et d'une application parfois difficile, il ne nous semble pas que son emploi doive être préféré aux autres procédés d'extraction.

P. B. - L. DEMELIN


P. BUDIN et L. DEMELIN.
Source :
S. Tarnier, P. Budin. " Traité de l'art des accouchements ". Tome 4, Paris, G. Steinheil, Libraire-Editeur, Paris, 1901


Texte extrait et mise en page par Dr Aly Abbara
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