Un sacré héritage…

Nouvelle écrit par Dr Pierre BAILLY-SALIN
Juin 2004 - novembre 2005


Chapitre 4

 

Évariste réussit à tenir dix jours. Dix jours mais aussi dix nuits! Ces nuits étaient interminables : sitôt endormi, il se réveillait échappant de justesse par un sprint échevelé à un groupe d’hommes patibulaires qui le poursuivaient le long de couloirs sans fin : et la séquence se reproduisait- elle ou une autre tout à fait similaire - deux ou trois fois par nuit! 

Les journées étaient plus tranquilles.

Les dossiers s’étaient accumulés sur son bureau de la CCVN et, nécessité faisant loi, il s’y plongeait y trouvant l’oubli momentané de ses angoisses en récompense de son ardeur.

La chef de service, Mademoiselle Séverine, se déplaça  une fin d ‘après-midi midi jusqu’à son antre.

“ Mes félicitations, Monsieur Bontemps : les dossiers remontent à une allure à laquelle nous n’étions pas accoutumés jusqu’à présent, je dois dire. Et je vous en fais mon compliment!”

Évariste rougit furieux de ne pas mieux contrôler son émotivité.

“ Vos ennuis notariaux se sont- ils arrangés? “

Questionna gentiment Séverine - appellation osée à usage purement interne, ce qui entraîna une nouvelle poussée de rougeurs diffuses de la tête et du cou.

“ Pas encore, Mademoiselle ; c’est au point mort en ce moment. “

J’ai de ces associations, pensa Evariste tentant de retrouver un semblant de calme.

“ Croyez- en mon expérience : ne laissez pas traîner les choses ; les services fiscaux n’apprécient guère... “

C’est vrai les droits de succession! Tout entier mobilisé par la gestion de la récupération du magot, Bontemps n’avait pas traité cet aspect du problème.

Il poussa un soupir :

“ Je n’en suis pas là, hélas. Ma tante a déposé le..., la..., le...  enfin l’héritage dans un coffre de banque mais des amis de mon oncle - enfin je crois - veulent le récupérer... “

“ Le récupérer?! Mais enfin Monsieur Bontemps, vous avez un notaire, m’avez- vous dit : il doit être capable de vous conseiller ! “

“ Non! C‘est plutôt la police, la police belge qui s’occupe de mon affaire..., un inspecteur très gentil...  “

“ La police ! Un inspecteur ! Pour un héritage ! Vous m’étonnez ! Vous êtes sûr d’avoir bien compris ? “

Cette compassion toucha Evariste et fit tomber brutalement ses défenses : un vrai débordement de piscine... tout y passa dans un désordre épouvantable... Mademoiselle Séverine écoutait bouche - bée ce flot précipité et elle s’en était assise sur un coin du bureau.

“ Le mari de ma tante était un collaborateur - gestapiste en Belgique. Il a mis dans une banque ce qu’il avait amassé pendant la guerre et ma tante n’a jamais voulu y toucher : elle l’a mis dans une autre banque mais des ex - amis de son mari ont tué un autre héritier, un cousin de son coté que je ne connaissais pas et aussi la secrétaire du notaire... et la police de Mons a dit que j’étais comme une chèvre sous leur protection pour attirer ces bandits et moi j’en ai assez, mais assez ! “ 

“ Je vois, je vois... “

Murmurait la jeune femme qui ne voyait pas grand-chose si ce n’est le grand désarroi de son rédacteur.

“ Vous avez bien dit qu’il y avait eu deux meurtres? “

“ Oui c’est bien pour cela que je n’en dors plus ! L’inspecteur est à Mons et je me sens terriblement seul ! Et je ne sais pas ou je ne sais plus si je dois aller à la banque ce qui risque de les attirer et je serai dans de beaux draps... Je suis perdu et toutes les solutions que j’envisage me semblent ne me mener qu’aux pires ennuis : cela me donne des angoisses terribles...  “

“ Je vois... Enfin je commence à comprendre. Vous avez le nom et l’adresse de la banque? “

“ Oui c’est à Lille, un coffre, avec un simple numéro qui était dans une enveloppe cachetée que le notaire a ouverte devant moi : je l’ai détruite et nul ne connaît ce fichu numéro que moi ! Mais ce n’est pas cela qui me protège... “

“ Oui c’est vrai. Écoutez, je vais y réfléchir ; quand on aborde un problème avec un esprit neuf, on a parfois des idées... “

“ Oh Merci Mademoiselle... Merci ! Mais... Non ! Il ne faut pas : je ne voudrai surtout pas que cela vous entraîne dans les ennuis que me vaut cette maudite succession ! “

 Ce disant Evariste avait les larmes aux yeux, phénomène fréquent chez lui depuis le voyage en Belgique ! Séverine en fut touchée :

“ Allons à deux, on appréhende mieux la situation et il doit bien y avoir une solution, que diable... Retrouvons- nous après la fin du travail au café sur la place, celui avec des parasols, on y est tranquille... “

Lorsqu’ils furent attablés devant une consommation, Séverine fit preuve d’un bel esprit de décision. Elle exposa avec conviction qu’attendre plus n’arrangerait rien et rendait la vie insupportable inutilement. Soupir éloquent d’Evariste !

Il fallait, dit- elle, aller à Lille, visiter le coffre mais sans en retirer quoique ce soit. Les risques devenaient minimes : cette simple descente au coffre ne pouvait être repérée, à son avis du moins.

Cela paru lumineux à Evariste : la solution était là...

“ Mais si je suis suivi... “

Réfléchit- il en un deuxième temps... phénomène de balancier qu’il connaissait bien depuis le temps que toute idée soulevait une multitude d’objections.

“ Je vous suivrai à distance et je verrai bien si vous l’êtes ! “

Répondit impulsivement la responsable du contentieux, celle dont la prudence et la logique serrée étaient proverbiales ! Son subordonné en fut abasourdi et ne sut que rougir violemment - du moins il le supposait !

“ Pour ne pas attirer l’attention, vous prendrez deux jours de congé, je n’en prendrai qu’un seul et nous passerons à l’action : cela me parait sans risques ! “

Entraînés par les vertus du projet, ils peaufinèrent les détails, ils travaillèrent la façon de se suivre dès la gare du Nord, les distances et les signes de reconnaissance et d’alerte. Accumulant les précautions, Séverine insista sur le fait de rester un moment les mains ostensiblement ouvertes au retour de la salle des coffres et à la sortie de la banque pour “ bien afficher la couleur “.

“ Il y a un mois que je n’ai pas été si détendu.”

Constata Evariste et ils fixèrent la date de l’expédition. Un vendredi proposa Évariste qui avait sa petite idée... le week - end suivant ils pourraient se voir et savourer leur succès!

Être deux évita à Évariste de retomber dans les affres du doute : il tenait à faire bonne impression et jouait son rôle de petit soldat déterminé avec crânerie... même si quelques inquiétudes résiduelles se manifestaient par courts épisodes.

Séverine arriva un matin, toute fière, d’une fierté un rien enfantine, avec un plan de Lille où l’agence de la banque figurait :

“ C’est tout près de la gare et nous pourrons repartir immédiatement... “

Le vendredi arriva : Évariste arriva gare du Nord son billet en poche. Il passa devant Séverine à l’endroit convenu. Il dut se faire violence pour ne rien trahir de ses sentiments.

Dans la voiture de première - il y a moins de monde et nous pourrons plus facilement repérer des gens suspects, avait pronostiqué la “ patronne “ - leurs places avaient été parfaitement choisies : Séverine était à une extrémité et rien ne lui échappait des mouvements dans le wagon. 

Clientèle banale d’hommes d’affaires absorbés soit à la lecture des pages roses du Figaro soit scotchés à leurs écrans d’ordinateurs portables.

Il fut difficile à Évariste de ne pas se retourner durant le trajet pour la banque : il ne pouvait qu’imaginer sa chef de service le couvant du regard et la sensation n’était pas, pas du tout désagréable.

La vue de la banque le ramena à la réalité. Seule Séverine avait l’expérience d’un coffre et de son usage : elle avait donc appris à son rédacteur les demandes et gestes des opérations... Ils avaient longuement étudié toutes les hypothèses possibles, du refus à l’interrogatoire par une autorité de l’agence mais les choses furent infiniment plus simples.

Entré seul dans la banque - un renvoi obligé à “ Un après - midi de chien “ et Evariste fut trente secondes Al Pacino ou Dustin Hofman, il ne savait plus bien - il demanda de se rendre au coffre avec un naturel qu’il estima “ parfait “. L’employée impassible lui tendit, sans commentaires, un registre ; il inscrivit le numéro du coffre et son nom... Elle y jeta un œil, le regarda plus attentivement, hésita un instant, lui demanda une pièce d‘identité.

‘” C’est un compte à numéro. “

“ Oui je sais ! “

Puis elle sonna pour “ avoir quelqu’un.

Évariste se sentit inondé de sueurs profuses : le “ quelqu’ un “ arriva, désinvolte, saisit le registre, y jeta un œil rapide et précéda sans façon l’héritier Bontemps.

La salle des coffres était vide et Évariste réussit, ce dont il fut très fier à repérer le coffre 21 en un temps record. L’accompagnateur se détourna, très professionnel, pendant que Bontemps composait son code puis il sortit de la pièce.

Il ouvrit le coffre - un coffre de dimensions moyennes -  et jeta un coup d’œil au contenu. Une grosse, très grosse enveloppe, presque un colis de papier beige, ficelé et semblait- il rien d’autre.

Il aurait bien voulu investiguer plus avant son bien, mais la seule évocation de son accompagnatrice qu’il imagina faisant semblant de lire un quelconque magazine sur le trottoir le ramena à la raison ; il referma le coffre, vérifia deux fois sa bonne fermeture et sonna pour sortir.

Il pensa à saluer la guichetière et, se félicitant de cette heureuse initiative, se retrouva au grand air, les bras écartés du corps et les mains largement ouvertes - signe convenu entre eux ce qui ne devait contribuer à le faire paraître intelligent.

Séverine était à son poste et il eut besoin de toute sa “ force d’âme” pour ne pas se précipiter vers sa “ couverture “, comme on dit en langage policier - domaine où la culture de Bontemps était solide et lui annoncer le succès de l’opération. Le succès ? Enfin la toute première des opérations s’était bien déroulée et avait, ce qui n’était pas mince, confirmé l’existence du “ legs “ de l’oncle Deschiens, de sinistre mémoire.

Dans un café, ils purent échanger leurs informations. Séverine n’avait rien remarqué d’anormal en le suivant, mais elle avait pris conscience que son rôle n’était pas simple ni évident : il se passait tant et tant de petits imprévus dans un wagon, fut- il de première classe, que le voyage lui avait paru une éternité.

 Elle commanda d’ailleurs un Martini ce qui n‘était pas conforme à son personnage et éclaira son compagnon - il avait failli penser “complice “ - sur le stress qu’elle avait subi durant la matinée.

Évariste eut une inspiration soudaine :

“ Écoutez ; je ne vais pas vous infliger deux fois pareille épreuve! Tout s’est bien passé tant pour la partie voyage qu’à la banque. Pourquoi ne pas jouer le coup de suite et l’on sera tranquille, alors qu’attendre nous use les nerfs. “

Était- ce l‘effet de l’apéritif, mais Séverine donna son accord avec un réel enthousiasme. Impérial Évariste se leva et - inspiration venue du feu de l’action - il entra dans un grand magasin qui jouxtait la banque et en sortit avec un attaché - case qu’il balança à bout de bras en direction de Séverine laquelle avait déjà gagné son poste de surveillance.

Il ne rencontra aucune difficulté dans son opération. La guichetière avait changé et l’accompagnateur aussi : merveille des 35 heures ... à Lille... Dès qu’il fut seul devant “ son “ coffre, il enfourna le paquet dans le porte - document - le bien nommé - non sans avoir jeté un coup d’oeil de part et d’autre bien qu’il fut seul... comme quoi son assurance était bien de (pure) surface.

Comme ils en avaient convenu, il se dirigea vers la gare suivi à distance par la chef de la division du contentieux ; il chercha à se donner un air de parfaite décontraction, s’arrêtant pour contempler une vitrine dont il ne découvrit qu’après - coup que c’était celle d’un magasin de lingerie féminine ce qui le fit virer au coquelicot. 

Le voyage fut sans histoire et les deux compères se retrouvèrent à la Gare du Nord un peu décontenancés, ne sachant quelle attitude adopter. Séverine prit la bonne décision qui les libéra tous les deux. 

“ Ah ! Non ! Zut ! Je ne pourrai pas attendre demain pour connaître le résultat des courses! Écoutez, soyons simples : j’ai toute confiance en vous, nous allons aller chez vous ouvrir ce fameux legs et voir de quoi il retourne... “

Évariste sauta de joie - intérieurement - et se félicita de la prémonition qui lui avait fait faire avant le départ un grand ménage exceptionnellement méticuleux. Arrivés chez lui la netteté du logis fut remarquée par “ la chef “, Évariste s’en rendit compte au bref regard circulaire qu’elle jeta en ôtant son manteau et au gentil sourire qu’elle lui fit.

Posée sur la table la grosse enveloppe marron semblait moins épaisse ; elle avait pâli au cours des années et la colle avait quasi disparu ; sous le doigt d’Évariste elle s’ouvrit et vomit une liasse de papiers pliés, des coupures de journaux principalement... Séverine fouilla en même temps que son compagnon à la recherche d’autre chose de plus intéressant : mais rien que ces morceaux de journaux découpés soigneusement.

Chacun en prit un au hasard et le parcouru. C’étaient des articles se rapportant à des faits de l’occupation. Au troisième essai de pioche, Séverine comprit de quoi il retournait : toutes les coupures ne traitaient que  d’attaques de fourgons de postes ou de camions. Tout devint encore plus explicite lorsqu’ Évariste tomba sur le récit détaillé d’une agression contre une banque.

Ils remuèrent quelques instants en vains ces papiers vieillis à la recherche d’autre chose, de l’argent ou un indice... Rien, rien que ces récits avec les détails qui avaient marqué ces années de troubles.

Séverine fut secouée d’un fou - rire dont elle n’arrivait pas à se contenir assez longtemps pour parvenir à s’excuser de son hilarité et du caractère explosif de celle - ci : elle finit par pouvoir articuler.

“ C’est la réaction ... “

Avant de replonger dans des soubresauts irrépressibles de rire. Évariste ne tarda pas à la rejoindre sur le même registre et tous deux devaient valoir le spectacle, l’un écroulé sur la table et les papiers épars, l’autre renversé en arrière de sa chaise et essuyant les larmes qui accompagnaient ses hoquets de rire.

“ La fortune de l’ignominie... Puftt... Au diable l’avarice et les avaricieux! Avoir été riche d’espérance, c’est encore la meilleure part, la meilleure part du gâteau ! C’est toujours plus beau en rêve ! “

À ce moment, la sonnerie du téléphone retentit : le plus étonné des deux était Évariste dont la solitude était extrême...

“ Ce ne peut être Cousine Berthe, elle appelle le lundi.”

Lâcha- t- il en prenant le combiné.

“ Oui oui ! Je suis ravi de vous entendre Oui oui ! Quoi ! “

Il ne pouvait cacher l’intensité de sa surprise.

“ Qui ? Vous avez arrêté deux bandits... hier matin... mes bandits, ceux qui étaient à mes trousses ça alors ! ... Grâce aux écoutes téléphoniques... oui, je vois... Félicitations Inspecteur ! Ils voulaient venir me rendre visite... pour partager... “

Là Évariste ne put se retenir et éclata à nouveau d‘un rire énorme.

“ Pardonnez- moi ! Oh ! Excusez- moi ! 

Hoqueta- t-il.

“ Oui - Non ! Ce n’est pas nerveux ! Laissez- moi vous expliquer : je  rentre de Lille à l’instant... (clin d‘oeil navré vers Séverine et petit geste d‘excuse) Oui, j’ai été à la banque et vidé le coffre... une grosse enveloppe...  Attendez ! Dedans uniquement des coupures de journaux se rapportant à des attaques diverses en 1943 - 1944... Oui ! Pas un billet ni rien, rien de rien !... Déçu? Non, au fond pas tant que cela ; je me sens mieux en savetier qu’en financier... Entendu je vous envoie le contenu pour vos archives. Si je porte plainte ? Non, ma foi  mais  faites  savoir à vos bonshommes  la nature du “ trésor “ de Deschiens après lequel ils courraient, ça leur remontera le moral... Ils en auront pour vingt ans dites- vous! Dix ans par meurtre !... Avec moi ça aurait fait trente ans !... fichtre je reviens de loin si je comprends bien... Grâce à vous ! ... Si ! Si !  En tout cas merci pour tout vous avez été sensationnel, digne de Sime..... Bon je ne le dirai pas ! Au revoir Inspecteur : vous avoir rencontré a été une chance pour moi...  “

“ J’ai tout compris “

Interrompit Séverine qui avait saisis la teneur du coup de fil.

“ Et j’ai beaucoup aimé votre réaction ; c’est celle d‘un honnête garçon et d‘un sage ! Nous allons donc avoir la chance de vous garder au service du contentieux ... “

“ Et moi celle de vous voir tous les jours !“

Risqua Évariste en virant à la pivoine, rouge bien entendu, déclenchant une réaction identique chez sa chère patronne!

(Fin)
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