Chapitre 3
La nuit fut paisible. Évariste se leva étonnamment dispos et, dès le lever, il fut saisi d’une excitation douce et pénétrante en pensant à la fortune qui, la veille, avait miroité devant lui. Les suites policières ne lui avaient pas permis d’en savourer pleinement les promesses qui ce matin lui paraissaient éclatantes.
Il descendit allègrement prendre son petit déjeune se reprochant d’avoir été trop regardant quant à la qualité de son hébergement à Mons. La réceptionniste en le voyant sortir de l’ascenseur fit un signe discret à un homme corpulent, tassé dans son fauteuil, qui s’approcha de lui, porta deux doigts à son front et s’enquit de son nom.
Ça n’est pas possible, cela recommence et ce dès le matin, pensa- il et toute trace d’euphorie disparu instantanément.
“ Voulez- vous avoir l’obligeance me suivre au commissariat pour affaire vous concernant ! “
Il parle comme dans les mauvais romans policiers, mais qu’est ce qu’il me veulent Grands Dieux J’aurai pu lui demander ses papiers, mais je n’ai pas intérêt à tirer la queue du chat, jugea Bontemps.
“ Je peux tout de même prendre mon déjeuner ?”
“ Faites, faites, nous avons tout notre temps. “
Répondit placidement le policier qui se réinstalla lourdement dans son siège. Voilà un gaillard qui a l’habitude d’attendre.
Le café et les croissants devant lui Bontemps se leva pour prendre le “ Petit Montois “ : “L’habitude c’est la première fois “ pensa- t- il en se revoyant la veille faire les mêmes gestes.
Sur trois colonnes, un grand titre barrait la une :
Crime à Mons !
Suivaient les circonstances de la découverte du cadavre d’une jeune fille dans une rue de la “ ville basse “. Bontemps fut sur le point d’arrêter là sa lecture et c’est par pur hasard qu’il lût quelques lignes plus bas que la victime travaillait comme secrétaire chez Maître Vonchelles.
Il repoussa sa tasse de café et lut fébrilement la totalité de l’article : il n’y apprit rien de bien intéressant : la jeune fille avait été étranglée et n’avait subi aucun sévices sexuels, du moins dans une première estimation. On donnait peu de détails si ce n’est que rien ne lui avait été dérobé, son sac ayant été retrouvé sur les lieux à quelques mètres du corps.
Bontemps revit le visage rond de la jeune fille et se rappela le regard légèrement trop appuyé qu’elle lui avait lancé.
La présence de l’homme de la police avait- elle un quelconque rapport avec ce meurtre ? Toute euphorie avait disparu et il alla retrouver le policier - un inspecteur qui se leva à son approche et lui proposa la voiture “ de la maison” : on ne peut résister à une telle invite et Évariste Bontemps suivit le gros homme sous l’œil curieux de la réceptionniste.
“ Désolé, Cher Monsieur, de vous avoir fait enlever à votre hôtel de si bon matin mais la secrétaire de votre notaire a été assassinée cette nuit : ces deux meurtres en deux jours sur des personnes ayant avec vous un rapport - même lointain, j’en conviens - m’ont posé problème. “
Bontemps fit un geste d’impuissance tout en indiquant de la tête qu’il savait ce qui était arrivé à la secrétaire. Le commissaire continua son propos.
“ Vous ne connaissiez aucunement Monsieur Xavier Deschiens m’avez-vous dit hier. Vous n’avez pas retrouvé quelques souvenirs le concernant ? “
“ Mais comment le pourrais- je, Maître Vonchelles m’a raconté hier que le mari de ma tante avait été un collabo notoire qui a été abattu en 1945 : je n’étais pas né ! “
“ Notoire est faible ; c’était un redoutable membre de la Gestapo et il a fait bien du mal à la Résistance belge et bruxelloise en particulier.
“ J’ignorais jusqu’à son existence. Ma mère ne parlait jamais de sa famille montoise et je comprends pourquoi depuis hier ! “
“ Vous ne connaissiez pas non plus, je suppose, la secrétaire de Maître Vonchelles qui a été tuée hier en rentrant de l’Étude ? “
“ Je l’ai effectivement entr'aperçue hier en sortant du cabinet du notaire ; je peux même vous indiquer que j’avais trouvé qu’elle me dévisageait avec un peu trop d’insistance ! Ce n’a été qu’une impression fugitive et toute subjective. Je ne crois pas être un Adonis et arrêter le regard des jeunes filles n’est pas une expérience qui m’est familière ! “
“ Comme si elle cherchait à mettre un nom sur un visage ? “
“ Oui, en quelque sorte mais je vous répète combien c’était une notation très... vague ! “
Le commissaire prit le combiné en s’excusant du regard et demanda à parler au notaire :
“ Maître, vous m’avez bien dit ce matin que c’était votre secrétaire qui avait tapé les cotes du dossier Deschiens et qui avait envoyé les convocations aux intéressés ; vous le confirmez ? Y a- t- il d’autres personnes qu’elle qui ont eu à connaître de ce dossier ? Personne, vous êtes formel ! La victime était à votre service depuis six mois, dites- vous et vous n’avez jamais surpris des indiscrétions de sa part ? Oui ! Merci encore ! “
À ce moment, l’inspecteur qui avait cueilli Evariste au Regina frappa et déposa un papier sur le bureau du “ Patron “. Celui - ci y jeta un coup d’œil et siffla légèrement :
“ Tiens, tiens, on m’apprend que le grand - père de l’intéressée a fait douze ans de prison pour faits de collaboration ; il y a là une curieuse coïncidence.”
Bontemps nota in peto que le statut de la secrétaire s’était légèrement modifié : de victime, elle devenait l’intéressée ;
“ À propos avez-vous dit à des proches le but de votre visite à Mons ? “
“ Non et je ne vois pas pourquoi je l’aurai fait ; je pensais qu’il s’agissait d’une vague histoire de famille où je ne me voyais guère impliqué ! “
“ ! Ces histoires de l’occupation sont si anciennes que j’ai dû faire rechercher dans la collection du Petit Montois et j’y ai appris bien des choses que j’ignorais, notamment le rôle très important de ce Deschiens à la solde de l’ennemi. Un article mentionne qu’il aurait constitué un confortable trésor de guerre. C’est peut - être pour cela que ce Xavier Deschiens et vous - même étiez convoqués chez Maître Vonchelles? “
C’est amené bien lourdement, estima en son for intérieur Bontemps qui eut un geste de mécontentement qu’il ne chercha pas à cacher. Le commissaire reprit sur un ton assez vif.
“ Mais c’est vous - même, Cher Monsieur, qui avez fait allusion à un héritage ; vous avez même ajouté que vous risquiez d’être de ce simple fait suspect, suspect de je ne sais quoi ! “
J’ai eu tort de sous estimer ce flic belge, pensa Evariste Bontemps. Il y eut un temps de silence puis l’inspecteur du matin qui se tenait derrière son patron toussota et dit à voix presque basse :
“ Autant que suspect, vous pourriez être une nouvelle victime de cette mini série noire ; y aviez- vous songé ? “
Brusquement lui revint le souvenir du soir de son arrivée et des visions fugitives qu’il avait eue d’une silhouette qui se dissimulait lorsqu’il se retournait pour repérer son chemin du retour. Il hésita à en faire part et finalement prit le parti de se taire.
On frappa à la porte et un homme jeune entra puis hésita en voyant Bontemps dans un fauteuil :
“ Non, non vous pouvez parler devant Monsieur. Inspecteur Lévy du bureau de la Police scientifique de Bruxelles. Alors du nouveau ?”
“ Une certitude après l’expertise du disque dur de l’ordinateur de la secrétaire du notaire : la totalité du dossier de Deschiens Nicole a été copié et repris sur disquette : moins d’ 1 mo au total. La pauvre fille n’était pas bien maligne et n’a tenté aucun camouflage ; en tout cas pas du travail de pro, ça c’est sûr ! “
“ Et qu’est ce qu’il y a dans ce dossier ? “
“ Attendez : mon boulot c’est la technique informatique et seulement la technique ! Je pourrai faire en douce la même opération que la pauvre gamine a réalisé, plus habilement qu’elle certes, mais comme vous aurez facilement une autorisation du Parquet... “
Le commissaire se gratta le menton déjà gris d ‘une barbe dure et Evariste nota que l’inspecteur avait pris un air lointain : il pense en son for intérieur que le “ chef “ avait mis à coté de la plaque.
Ce fut le subordonné qui reprit le dialogue :
“ Ainsi nous pouvons penser que la secrétaire a mis au courant des gens intéressés par l’affaire Deschiens et que son profil l’élimine en tant que cerveau de l’opération ! Mais pourquoi les gens intéressés se sont- il adressé plus particulièrement à l’Étude Montoise ? Là je crois avoir ma petite idée : le notaire m’a dit hier qu’il avait fait de longues recherches auprès de généalogistes pour vous retrouver ; j’imagine que ces demandes et la publicité qui les a fatalement entouré ont pu mettre en éveil ceux qui savaient quelque chose sur Deschiens et surveillaient ceux qui s’intéressaient à lui ! “
“ C’est une hypothèse valable, très valable même.
“ Mais il y a quelque chose qui me trouble dans cette affaire Deschiens. Avez- vous une impression identique ? “
Continua le gros inspecteur.
“ Non je ne vois pas ! “
Ronchonna le commissaire et Évariste manifesta de la tête son ignorance.
“ C’est le temps écoulé entre la mort de Deschiens et les faits qui nous concernent. Deschiens, le gestapiste, a été exécuté en 44; il avait trente ans environ. À ce jour ses complices ou ses amis, appelons les comme on voudra, auraient en moyenne quatre - vingt à quatre-vingt-dix ans ! Voyez par exemple, c’est le grand père de la secrétaire qui a été en prison après la guerre. Il y a un saut de génération ! “
Cette remarque laissa Bontemps songeur. Toute cette histoire paraissait banale - au départ - puis curieuse. Il y avait eu deux meurtres et les victimes avaient entre eux au moins un lien : l’étude du notaire Montois. Et cela était indéniable ! Et cela sonna d’une très désagréable façon aux oreilles d’Evariste...
Plus il y réfléchissait, plus il devenait inquiet. Les silhouettes entrevues ou qu’il avait cru entrevoir le jour de son arrivée à Mons lui revinrent à l’esprit. Il hésita à nouveau à en faire état et décida d’attendre encore un peu.
Libéré, Bontemps eut juste le temps de se rendre chez Maître Vonchelles pour son rendez- vous. Le notaire lui paru préoccupé. Et après la remise de l’enveloppe contenant le nom de la banque, son adresse, le numéro du coffre et enfin le code de celui - ci. Il toussota et à, voix presque basse, il lui confia :
“ Je serai vous j’apprendrai par cœur ces chiffres, le numéro du coffre et son code et je brûlerai tous les supports papier... vous me suivez bien ? Depuis quelques jours, nous recevons à l’Étude de curieux appels téléphoniques, tous muets : je n’y avais pas porté une attention spéciale, mais dans le contexte nouveau de ces crimes, je vais en parler à notre Police et cela m’a amené à vous recommander la prudence. Je ne voudrais pas que les craintes exprimées dans son testament par votre tante se concrétisent fâcheusement ! “
Évariste lui fit part de la remarque de l’inspecteur sur le temps écoulé depuis la mort de Deschiens.
“ C’est très vrai et cela me frappe maintenant que vous me le dites : plus de cinquante ans ! Mais qu’en conclure ? “
Bontemps prit congé après avoir signé une décharge au notaire : il eut un regard pour le bureau de la secrétaire où l’ordinateur était recouvert d’une housse et portait des scellés. Il tâta dans sa poche la fameuse enveloppe et tenta d’élaborer une stratégie.
Il se dirigea lentement vers la Grand place adoptant l’allure du paisible promeneur qui a tout son temps. Il se retourna d’un mouvement vif à plusieurs reprises comme s’il voulait regarder la Grand place sous un autre angle : rien n’attira son attention.
Pris d’une soudaine inspiration, il pénétra brusquement dans le restaurant qui l’avait accueilli le premier soir - un siècle déjà, lui sembla - t - il - et ayant commandé une bière en passant devant le comptoir, comme un homme pressé par un besoin urgent, il se rendit directement aux toilettes. Il ne lui fallut qu’un instant pour ouvrir l’enveloppe, lire le numéro - 39 89 - jeter le papier dans la lunette et tirer la chasse.
Il poussa fort loin l’inventivité en contrôlant discrètement la bonne fermeture de sa braguette lorsqu’il repassa devant la serveuse. En buvant son demi à grands traits assoiffé, il s’émerveilla de la rapidité avec laquelle il avait réagi.
39 89 ! Le chiffre ne lui évoqua rien ; 39 c’était la déclaration de la guerre ! Mais 89 ? La Révolution Française... ou n’importe quoi ! Le département de l’ Yonne ! Le numéro du coffre : le 21… La Cote d’Or !
Tout à ses réflexions, il arriva devant son hôtel et la première chose qu’il vit fut la voiture banalisée de la police montoise. Effectivement l’inspecteur était là, massif, tassé dans son fauteuil attendant passivement son retour.
“ Je suis là à titre semi - officiel : nous sommes préoccupés par votre sécurité ; j’ai été désigné pour en être le responsable et je puis vous assurer que je ferai de mon mieux. “
“ C’est très aimable à vous mais puis - je savoir plus précisément ce qui vous inquiète à mon sujet ? “
“ Bon ! Il ne faut pas être grand clerc pour deviner, avec les pièces du puzzle que nous avons en main que Maître Vonchelles avait un document de type testamentaire ou autre à vous transmettre, à vous et à Xavier Deschiens. Que ce message concernait le Deschiens collaborateur et que cela pouvait concerner la cachette des détournements de tout ordre que ce dernier avait accumulé du fait de ses sinistres activités de l’occupation ! Notez qu’il s’agit là de pures spéculations et c’est la raison du caractère officieux de ma présence.
Bontemps réfléchissait intensément. Il était sensible à l’intention du policier tout en se demandant si cela ne cachait pas un piège ! Et lequel ?!
“ Votre méfiance, bien compréhensible, plaide en faveur de la justesse de nos suppositions. Je vous ai observé lorsque vous avez traversé la Grand Place au sortir de l’Étude. Vous vous êtes retourné deux fois comme un homme qui craint d’être suivit ! Je me trompe ? “
“ Non, lâcha Évariste. Avouez qu’il y a de quoi ! Deux personnes tuées coup sur coup et qui étaient concernées par ce qui m’amenait ici. »
“ J’en suis tout à fait d‘accord et c’est pour cela que nous sommes inquiets ! “
“ Vous avez raison : ma tante a voulu nous mettre au courant des activités de feu son premier mari ! “
Le policier le regarda placidement sans plus réagir ; il remua dans son fauteuil, sortit une pipe qu’il remit aussitôt dans sa poche, comme s’il avait eu un geste inconvenant. Cela fit sourire intérieurement Bontemps, féru des Maigret de Simenon : il le retrouvait, en vrai, dans le cadre wallon d’origine.
“ Mettre au courant de quelle manière et sur quoi exactement ? “
Évariste se trouva coincé. Il allait lui falloir prendre une décision : parler ou ne pas parler de la révélation d’une cache de l’argent du collabo ! Il tentait de garder un visage calme et inexpressif alors que son cerveau fonctionnait à toute vitesse tentant de soupeser les avantages et les inconvénients des deux attitudes.
Ne rien dire lui laissait toute latitude de récupérer le dépôt bancaire qu’il était seul à connaître. Parler le mettait certes sous la protection de la police - si tant est qu’elle fut efficace - mais risquait de diminuer sérieusement sa marche de manœuvre.
Être protégé à Mons : bel avantage ; il n’allait pas passer sa vie dans ce trou et qui empêcherait ses éventuels poursuivants de le pister jusque chez lui ?
Cette vue des choses le décida : il fallait jouer le coup seul ; cela lui permettrait de passer inaperçu : comme aux échecs, il avait les blancs et donc l’avantage d’un coup d’avance : il allait rentrer chez lui tranquillement, continuer sa vie ordinaire et il s’occuperait de récupérer l’argent au moment où il le déciderait.Ayant à peine ébauché ce plan qui lui avait paru lumineux il fut envahi par le doute ; les autres - appelons- les “ les autres “ faute de mieux - le savaient dépositaire d’un secret et ils pouvaient le torturer pour connaître la vérité sur ce que contenait l’héritage ! Il était prisonnier et condamné aux pires ennuis sans avoir de porte de sortie !
L’inspecteur, exagérant son allure débonnaire, le regardait comme s’il devinait le cours tortueux de ses pensés. Allez, allez, semblait- il dire par son attitude passivement pesante, vous en viendrez à passer par mes vues.
L’aveu de son désarroi était- il la solution ? Bontemps se le demandait piteusement.
L ‘inspecteur, comme s’il avait suivi le débat intérieur de son vis-à-vis, dit sur un ton doux :
“ Je comprends votre trouble : se savoir l’objet d’une possible menace sans savoir comment y échapper ni comment la repérer est très angoissant, du moins je l’imagine. Mais vous semblez négliger ce qu’une enquête peut amener comme informations sur ceux qui en veulent à la succession de Deschiens. Ils ont fatalement laissé des traces qu’il s’agit pour nous de découvrir puis d’exploiter et enfin de remonter la filière pour les mettre hors d’état nuire! “
Ces propos furent pour Evariste un réconfort immédiat. L’attaque est la meilleure des défenses : il ne savait où il avait pêché ce sage principe mais qui lui paru ouvrir des espoirs de salut !
“ Prenons la secrétaire : l’exploration de son passé récent devrait nous indiquer quand, comment, voire par qui elle a été contactée. “
“ Quand on lui a proposé de copier un dossier, elle a dû en parler à des amis ou elle a pu laisser des traces des contacts qu’elle avait eus. “
“ Exactement, c’est notre métier : on pourra par exemple étudier ses relevés bancaires à la recherche de sommes versées. »
Cet échange avait retourné Bontemps ; il se sentait épaulé et eut un brusque mouvement de sympathie envers le gros policier. Sa rondeur cachait une intelligence fine et déliée : en un instant Evariste décida de se confier et de confier sa vie à cet homme et de jouer le coup avec lui !
“ Comme vous vous en êtes douté ma tante avait laissé une indication concernant la banque et le numéro de compte ; je les ai gravés ici - dit - il en se frappant le front - et ai détruit ces preuves”
” Ces papiers étaient - ils sous scellés ou ouverts ? “
Le coupa son nouvel ami.
“ Les informations importantes, nom de la banque, numéro du coffre étaient dans une enveloppe cachetée et le notaire m’a bien fait constaté que les cachets étaient intacts. “
“ Des cachets de cire ? Bon cela limite notre champ d’investigations. La fuite vient d’évidence de l’étude de Maître Vonchelles et cette étude s’était désigné d’elle - même par les investigations qu’elle diligentait autour du nom de Deschiens et il ne fallait pas être grand clerc pour flairer une affaire de succession. Les choses sont claires ; nous allons explorer cette filière. Quelles ont été les agences mises sur la recherche des héritiers Deschiens. Comment ont- elles procédés ? Surtout, ont- elles été contactées par des inconnus... “
“ Ont- elles été visitées après ou pendant leurs enquêtes ! “
Ajouta Evariste, fier de cet apport personnel qui entraîna un sourire de l’inspecteur.
“ Vous vous y mettez ! On a du pain sur la planche ; comme vous le voyez la police est une longue patience ; c’est ce qu’oublient pas mal de malfaiteurs et ils ont bien tort. “
“ Oui ! Oui ! Mais... et moi la dedans, dans cette histoire ; comment voyez- vous les choses ? “
La question dans sa naïveté ne déconcerta pas l’inspecteur.
“ Je pourrai vous dire que vous êtes une chèvre, notre chèvre mais ce serait méchant et en partie faux en partie seulement, précisa - t - il spontanément en voyant la mine anxieuse de son interlocuteur, mon rôle, comme je le conçois, est réellement de vous aider et de vous protéger. “
“ Oui c’est bien joli, mais je suis dans le collimateur de gens inconnus - de moi comme de vous - et qui semblent ne reculer devant rien deux morts en deux jours ça n’est pas mal comme début et je me vois comme étant la suite logique... “
“ Suite et fin non c’est un jeu de mot stupide ! En fait votre meilleure protection c’est que vous avez les données et eux doivent vous les soustraire et ces données vous les avez dans la tête, pas dans votre portefeuille. Et ils s’en doutent bien ! Mais on sera là pour les attendre ! On arrangera cela ensemble et avec mes chefs... probablement aussi avec l’aide de la police française. “
Cette perspective ne combla pas d‘aise Bontemps : il était loin de faire le fier devant de tels projets ! Aller risquer sa vie pour servir d’appât ne lui disait vraiment rien, rien du tout ! Il fut pris d’une violente envie de pleurer : ils ne comprenaient donc pas qu’il était un enfant, un grand enfant, en fait un bébé et que ces jeux le dépassaient, même avec ses trente - cinq ans officiels ! Les romans policiers qui constituaient une partie notable de son univers c’étaient des livres, des livres, pas du réel, surtout pas du réel.
Évariste voyait bien le scénario et sa texture ! On attend au tournant les bandits en les forçant à se découvrir, parfait, connu, classique ; mais Bontemps ne se voyait absolument pas dans le rôle qui lui était dévolu !
“ Vous allez rentrer chez vous comme si de rien n’était ; bien entendu, vous noterez tout ce qui vous semble anormal mais surtout sans rien en laisser paraître. Toute personne qui tente d’entrer en contact avec vous doit être considéré comme suspecte et il faut nous la signaler d’urgence. Nous organiserons en temps voulu une souricière autour de la banque - car je suppose que c’est dans une banque qu’est déposé le magot de Deschiens - Vous vous y rendrez et nous serons là ! “
Les instances intérieures d’Évariste se renvoyèrent la balle avant de répondre : pauvre réponse ; un vague grognement qui voulait dire ce qu’on voulait entendre et qui pouvait valoir pour approbation !
“ Vous n’avez guère d’autres solutions techniquement valables. “
Dit doucement l’inspecteur. Il me parle comme à un enfant, nota Bontemps.
“ Jouer le coup seul est trop risqué; ce ne sont pas des enfants de choeur, loin de là et ils ont au contraire le meurtre terriblement facile : ils nous l’ont assez montré et vous serez une proie facile. Ils vous extorqueront le code de la banque avant de vous tuer et se précipiteront toucher le magot. Y avez- vous songé ? “
“ Je ne fais hélas que cela. “
Lâcha piteusement Évariste.
“ Je ne vous vois pas non plus passer un communiqué dans la presse pour aviser qui de droit que vous renoncez à l’argent du tonton... Entre ces deux positions il y a nous et ce que nous vous proposons : cela vaut ce que cela vaut mais la police est plus performante qu’on ne le croit généralement ! “
Au fond, je n’ai pas le choix : l’inspecteur a raison, pensèrent en même temps ses fameux ministres que Bontemps avait convoqués dans un bel état d’angoisse. Lesdites instances Évaristiennes décidèrent, d’un commun accord, de se confier à lui et pour commencer de lui faire part des deux fois où, le jour de son arrivée à Mons il lui avait semblé entrevoir une silhouette sombre se dissimulant lorsqu’il se retournait.
“ L’étonnant eut été qu’ils ne vous aient pas localisé, ne serait- ce que par votre réservation à l’hôtel : n’oubliez pas qu’ils avaient votre identité par la secrétaire du notaire.”
Ainsi il était la cible identifiée et cela le fit trembler. L’aide de l’inspecteur et des polices était- elle efficace ? Si tous les policiers avaient l’intelligence du sien, il était entre de bonnes mains ! Il avait un effet rassurant sous certains angles et semblait avoir une vue claire de la situation. Cela eut le don de le sécuriser - au moins un moment...
Ils convinrent donc d’un scénario : Bontemps ne bougerait pas de Paris et continuerait à vivre normalement. Une surveillance discrète serait organisée, mais l’inspecteur ne pouvait être totalement affirmatif à ce sujet :“ Je ne suis qu’un petit, un sans grade...“
Si quoi que ce soit se produisait Évariste devait en avertir l’inspecteur belge et la police française. Il ne put s’empêcher de faire une triste figure. Il partait le lendemain et se sentait bien seul !
“ Je vous comprends et croyez que je me mets à votre place : être le gibier n’est jamais plaisant mais comment faire autrement, dites- moi ? Allez, je vous suivrai jusqu’à Bruxelles : on aura peut - être la chance d’en repérer un.
Le soir venu Évariste Bontemps ne s’éloigna pas de son hôtel pour dîner et, rentré tôt dans sa chambre, il coinça soigneusement une chaise devant la porte et il eut un sourire amer devant ce geste appliqué et dérisoire !Voilà où j’en suis moi qui suis peut - être millionnaire ! Je n’ai même pas fantasmé sur la somme éventuelle qui m’attend à la banque - 39 89; ces salauds m’ont gâché la fortune et la joie que cela aurait dû me procurer.
Le lendemain matin il multiplia les ruses dans la gare, montant et descendant de deux ou trois trains en partance et il ne bondit dans l’express de la capitale qu’au tout dernier moment.
Il avait pris des premières, idée qui lui paru lumineuse et il s’installa au fond d’un wagon, se cachant presque entièrement derrière le Petit Montois. Ce maudit canard donnait peu d’informations sur les deux meurtres récents : l’enquête suivait son cours, mais on signalait cependant la parenté de la victime du train avec le collaborateur fusillé après la guerre, sans autres commentaires.
L’inspecteur passa à deux reprises devant lui et Évariste fut touché de cette attention.
À Bruxelles, il prit de nouveau des premières et monta subitement dans le train pour Paris pour en redescendre après avoir parcouru plusieurs wagons ; il prit le convoi suivant, très fier de sa ruse. Il opta pour changer de voitures toutes les dix minutes, cherchant à fixer dans sa mémoire les têtes dont le regard pouvait passer pour inquisitorial ou même intéressé!
À défaut d’autres choses, cela lui permit de ne pas voir passer le temps. La gare du Nord lui fournit quelques opportunités supplémentaires de changements brusques de cap, puis de lignes de métro : pour finir il débarqua à son domicile en taxi à la surprise non dissimulée de sa concierge; il la salua l’air gêné.
Il n’ouvrit pas les volets et occulta d’un drap la fenêtre de la cuisine; la serrure de son logement lui paru lamentablement ridicule : elle n’eut résisté à rien et surtout pas à des criminels accomplis.
Bontemps s’assit désemparé et jeta un regard circulaire à son modeste logis. Ma vie était d’une monotonie dont je m’effarais : tout est changé, mais je ne tiendrais pas le coup longtemps à ce rythme là!
Il téléphona sur le portable de “ son “ inspecteur : l’entendre fut un réel réconfort ; celui - ci fut bref et le félicita de ses précautions, avec une petite pointe d’ironie lui sembla- t- il est lui conseilla de ne pas trop en faire et de ne pas trop s’en faire !
Facile à dire, pensa Évariste qui ne descendit pas au Mac Do du coin et dîna à la fortune du pot, c'est-à-dire de bien peu de choses. Ma vie d’homme couvert d’argent commence bien mal, ironisa t- il pour lui - même.
Le lendemain il fut bien obligé d’aller à son travail ; il le fit avec de pauvres ruses se retournant vivement à intervalles irréguliers.
Au cours de la matinée il eut à se présenter à son chef de bureau pour recevoir notification de son travail de la semaine. Mademoiselle Séverine lui demanda s’il se sentait bien et cette marque d’intérêt n’était pas dans ses habitudes :
“ Vous avez l’air fatigué et préoccupé : on ne peut pas dire que votre voyage vous a réussi. «
“ L’air de la Bretagne était pourtant excellent, même à cette période. «
“ La Bretagne! Je croyais que vous alliez en Belgique! “
Évariste rougit : s’il commençait à se couper cela promettait de beaux jours : il bégaya qu’il avait changé d‘ avis vu le mauvais temps
“ Choisir la Bretagne pour fuir le sale temps, il faut le faire! “
Fut le seul commentaire de sa chef.
Son travail de rédacteur lui laissant quelques loisirs, il tenta d’ordonner ses pensées en déroute. Fallait- il aller à la banque? Celle - ci répondrait- elle à un courrier? Sûrement pas sur le contenu du coffre! Je suis incapable d’une réflexion cohérente. Faudra- t- il aller sur place? Ce sera le moment de tous les dangers! Mais il pensa soudain que la Police pourrait être présente et le protéger.
Cette perspective suffit à le rassurer momentanément et il se surprit à siffloter gaillardement.
Ses poursuivants connaissent son nom et l’ont sûrement déjà localisé. Ce sera après qu’il ait récupéré le dépôt de ce Deschiens que les ennuis commenceront : cette évidence lui sauta aux yeux. Comment seraient- ils avertit de sa démarche! Ils ne connaissaient ni le lieu ni la date; il avait plusieurs coups d’avance, comme aux échecs ; il avait déjà utilisé cette comparaison, mais elle lui sembla ici plus pertinente bien qu’il n’ait aucune expérience de ce jeu!
C’est donc après avoir l’argent qu’il lui faudra disparaître : voilà!
Une annonce de décès dans les journaux! Le Figaro et le Monde! Et je disparais incognito! Voilà la solution... la solution finale! Mauvais jeu de mot ; il explora cette brillante idée un moment et il resta séduit.
Une certaine lucidité lui revint brusquement : je déraisonne ou mieux je pense n’importe quoi... Je ne pourrai pas être décédé pour l’état - civil, c’est stupide! Je dois me reprendre, je dois me reprendre ou je suis perdu!
Le silence lui fit lever la tête. Son chef de service était dans son bureau et le regardait avec une surprise non feinte. Depuis combien de temps m’observe- t- elle ainsi? Il remua sur son siège et - l’attaque étant la meilleure des défenses - il se lança dans un récit embrouillé de problèmes de pallier avec ses voisins.
La jeune femme compatit et il eut peur qu’elle ne le questionne plus avant sur ces difficultés imaginaires mais le téléphone sonna appelant Mademoiselle Séverine le sauvant momentanément et il put se plonger dans un dossier salvateur attrapé au hasard dans la pile devant lui!
Il réunit plus tard le Conseil des Ministres d’une façon “ officielle “ pour un échange de vue et une concertation qui s’imposait. Après des échanges tendus, le Conseil décida de ne rien entreprendre avant plusieurs jours et de ne contacter l’inspecteur que lorsqu’il aurait trouvé un peu de calme voire une éventuelle solution. En attendant vigilance sans exagération.
Ce beau programme lui rendit une certaine sérénité et il travailla presque correctement le reste de la journée.
Lors du voyage de retour en métro, sa lecture du journal ne lui fit pas oublier de jeter périodiquement de brefs regards circulaires et brutalement il décida de descendre à la station avant celle de son domicile.
Revenu à l’air libre cette initiative lui paru “ idiote “ : ils savent où j’habite et ne doivent pas me suivre sans arrêt. Cela prouve l’état de mes nerfs ; ça n’est pas brillant et je ne tiendrai pas le coup longtemps. Il faut tout oublier... tout! Ce conseil du ministre de l’Intérieur entraîna l’adhésion générale, mais c’est plus facile à dire qu’à faire, se lamenta Évariste. L’inconséquence des hommes politiques lui était bien connue depuis qu’il les fréquentait en ces réunions qui rythmaient sa vie intérieure.
Les deux jours suivant furent moins tendus. Il donnait quelques coups brefs et brusques de périscope, comme il disait, derrière lui ou sur les cotés mais sans insister ; il s’entraîna aussi à mémoriser les visages dans le métro ou chez les commerçants. Il ne remarqua rien d’anormal ce qui ne suffit pas à le tranquilliser complètement.
Par contre au travail, son rendement, déjà bien moyen aux dires de sa responsable, la terrible Séverine au prénom évocateur, était devenu affligeant comme celle - ci le lui avait signifié sans grande douceur.
Un après-midi il avait carrément laissé à son conseil des ministres le champ libre et la discussion avait été longue et passionnée ; il y avait les partisans de passer à l’acte le plus vite possible et d’aller récupérer le magot : étaient de cet avis le ministre des Communications et des Transports celui des Finances et celui des Affaires Étrangères.
Pour eux il fallait oser ; les amis de Deschiens ne pouvaient pas connaître l’adresse de la banque. Une fois l’argent en poche, il sera temps d’aviser disait le grand Argentier en se frottant les mains et la Police est là pour un coup, affirmait sans mollir le représentant de l’Intérieur!
Par contre le Ministre de la Santé et celui du Travail développaient une argumentation solide en sens diamétralement opposé : “ Ils “ ont eu notre nom par cette damnée secrétaire et il ne “ leur “ sera pas difficile de nous retrouver et alors gare! À quoi bon se le cacher l’avenir sera plein d’embûches et la police ne sera pas derrière nous éternellement.
Le Président du Conseil faisait piètre figure et il allait être mis en demeure de se prononcer quand la voix sèche de Séverine, la chef bien nommée, éclata :
“ Monsieur Bontemps ! Voilà deux minutes que je suis dans votre bureau et vous ne vous en êtes même pas rendu compte, tant vous étiez plongé dans une rêverie si profonde qu’elle en est insondable et en tout cas incompatible avec une activité professionnelle quelle qu’elle soit... “
Évariste faillit tout lui raconter tant pour excuser ses manquements au travail que pour solliciter sa compréhension, voire sa compassion, devant le drame qu’il vivait.
“ J’ai des ennuis, des ennuis très sérieux et je suis bien ennuyé car je ne vois pas de solutions... “
Mademoiselle Séverine n’était pas méchante et elle était sensible aux malheurs d’autrui. Évariste malgré son évident manque d’intérêt pour le travail n’était pas un mauvais garçon ; il avait même des cotés charmants, un peu enfantins certes et elle osa questionner son subordonné :
“ Des ennuis de quel genre, si je ne suis pas indiscrète? “
“ Une histoire d’héritage un peu particulière.”
“ Vous avez vu un notaire? “
La spécialiste du contentieux qu’était Miss Séverine s’était réveillée.
“ Oui ! Oui ! Tout est en ordre, mais il y a un obstacle... une difficulté... C’est vraiment très particulier. “
Évariste bredouilla lamentablement : quelle pauvre impression dois- je lui faire !
“ Mais vous avez toujours la possibilité d’accepter la succession sous bénéfice d’inventaire ; cela dépend évidement de son importance et de votre rang dans l’ordre successoral. “
“ Oh! Je suis seul et c’est bien lointain : c’est l’héritage d’une tante que je n’ai jamais d’ailleurs vu ! “
“ Une tante ! Ciel ! Mais mon pauvre ami, vous aurez à payer 60 % de droits! Réfléchissez bien ! “
Evariste failli glisser qu’il ne faisait que cela mais c’eût été du plus mauvais goût !
De fait Mademoiselle Séverine s’était reprise et elle conclut assez abruptement qu’Evariste pourrait toujours lui en reparler mais en dehors des heures de bureau avec un regard très explicite sur la pile de dossiers en souffrance sur le bureau d’Évariste.
Le soir il décida de “ prendre un contact “ avec “ son “ inspecteur de Mons. Celui - ci était à son portable : bonne note, ce gros homme était fiable. Évariste s’enquit de savoir s’il pouvait parler librement ; cela fit rire son interlocuteur.
“ C’est moi la police! Pas eux! “
Il y avait peu de nouveau dans les enquêtes : une agence de généalogie avait bien été contactée par des inconnus qui s’étaient enquis de l’étude qui cherchait des renseignements sur Deschiens et l’on exploitait cette voie. La jeune secrétaire de Maître de Vonchelles avait confié à une amie que le cours de son existence allait changer, sans vouloir en dire plus.
Évariste supportait de moins en moins bien la pression qui s’exerçait sur lui. La pression : un terme de tennis qu’ il entendait à chaque tournoi de Roland Garros et qui frappait inégalement les joueurs - les Français particulièrement La chose ne lui disait pas grand-chose jusqu’à il y a peu : maintenant il en savait quelque chose de cette fameuse pression!
$$$$
Sites Dr Aly Abbara :
www.aly-abbara.com
www.mille-et-une-nuits.com
www.avicenne.info
Paris / France