Une mission humanitaire comme les autres

Roman écrit par Dr Pierre BAILLY-SALIN



Chapitre VI

À S.O.S. - Monde

" J'ai emmené chez moi les lettres reçues pour le Laos et je les ai classés pour gagner du temps. On peut commence quand vous voudrez "

Le patron était toujours aussi actif ; Liliane pensa qu'elle aurait aimé que les candidatures soient dépouillées en commun pour n'être pas influencée par un premier classement, même inconscient. Elle était la DRH tout de même et la sélection son domaine mais le dire comme cela risquait d'être mal interprété.

On avait le fichage caractériel facile dans l'Organisation et la hiérarchie était souvent un curieux mélange d'amateurisme et de rigidité compensatrice. Problèmes de génération aussi !

Elle hocha donc la tête sans faire de commentaires, circonspection first et s'assit face à la fenêtre : elle pourrait suivre l'évolution du ciel. Ils furent rejoints par une secrétaire, le sous - directeur et Marchais, figure emblématique du mouvement, entra en dernier, comme une bombe, à son habitude, tonitruant un :

" Salut à tous ! Qu'est ce qu'on a au menu ? "

" Ça fait partie du personnage, "

Pensa Liliane en tendant la joue pour la bise de rigueur : il était comme cela et il n'était pas question de tenter de le contrarier.

" On a les candidatures pour le Laos "

Annonça le patron

" Le Laos c'est pépère… Allez rouler "

Liliane pensa que c'était à cause de prises de position de ce style " Marchais " et de décisions au pif que SOS - Monde avait connu de sérieux déboires dans plusieurs pays et elle décida de ne pas laisser la " figure historique " mener le jeu seul.

" Il y a du monde, annonça Guépou, le Président actuel, mais peu de médecins et d'infirmières ; par contre on a des administratifs en quantité et moins de logisticiens ; on commence par qui ? "

" Les médecins : s'il y en a peu ça ira plus vite ? "

Lança Marchais sous le regard noir de la DRH. En fait, dans le cas de figure, elle s'avoua vite qu'elle avait tort. Marchais avait un chic particulier pour débusquer les points faibles des confrères et consœurs. Il parcourait les CV et épinglait les points faibles sans bienveillance mais sans méchanceté.

" C'est pour cela qu'on l'aime " songea Liliane.

" Deux ans avec un trou chez un homme ! Y a quelque chose !. Celle-là n'est bien nulle part et son cursus est médiocre : pas de chirurgie ni de réa, c'est mauvais signe. Celui-là non plus : santé publique, je te demande… Pour le Laos. Trois ans sans rien après la thèse : elle doit être en train de divorcer et cherche une remise à flot. Bon périple, classique, rien à dire pour le 3 ; psychiatrie sans avoir la spécialité : on peut être sûr de la névrose du personnage : à éliminer, à mon avis. Pas mal le 4. La 7 est honnête, elle signale elle - même son erreur de parcours et la motive bien : elle voulait de la recherche et on l'a collé aux dîners promotionnels. Bon pour moi c'est le 3, le 4 et la 7.

" Le 3 a deux enfants et demande s'il peut les emmener. "

" Rédhibitoire : c'est un bled paumé et ils sont trop peu nombreux dans cette équipe pour supporter un conjoint "

" Le 4 tartine une page sur les émoluments "


Signala Liliane

" Bon ! Les héros sont fatigués et il veut combien comme fourchette ? "

Demanda Marchais. Les chiffres le firent siffler.

" C'est dommage ! Il avait un bon profil ; il ne donnera pas suite si vous voulez mon avis "

" Il ne reste que la 7, Noëlle, Faculté de Paris V, libre de suite, pas de prétentions financières signalées, célibataire, 34 ans ' .

Récita le Président et il fit circuler la photo. Contrairement à son habitude Marchais ne siffla pas et se contenta d'une moue dubitative ;

" Elle doit être chiante ; sa lettre de motivation ne me l'avait pas fait imaginer comme cela ; je la voyais plus franche du collier "

" Pour un groupe de quatre, il me semble qu'elle pourrait convenir : elle sera le seul médecin et ne pourra avoir de conflit de prestance "

" C'est bien vue Liliane : il faut être deux pour se disputer… "

Dit Marchais mais avec un gentil sourire qui fit passer sans problème sa remarque qui eut pu être acide. C'est là son secret, pensa Liliane : il est charmant et il est impossible mais authentique…

" Bon à qui passons - nous : on finit le corps médical ou l'on passe aux Adms. ? "

" Le responsable administratif aura un rôle essentiel face au médecin ; il n'y aura que lui pour faire contre - poids au pouvoir médical : Oh ! Pardon ! Marchais je disais cela sans intentions malveillantes "


" Je le sais, mon vieux ; et c'est la raison pour laquelle je suis ici. Mais dans le cas du Laos je pense que le pauvre type aura tellement à s'en voir avec les autorités et la réalité qu'il n'aura plus la force de se battre contre une tigresse : vous avez une idée ? "

" J'ai quantité de demandes ; on peut éliminer les gens trop titrés ; nous avons quatre Sciences - Po ! Un Essec et des gens avec des expériences qui ne sont pas congruentes avec notre projet ; et un lot de gens à côté de la plaque, il reste cinq candidats et Liliane vient de regarder leurs dossiers ; "

" Il y en a un qui est assez franc et annonce tout de go qu'il est en instance de licenciement économique et qu'il n'a donc pas d'exigences financières particulières. On sent un homme réaliste, et il a senti le poste avec pas mal de vérité ; c'est le seul qui ait fait référence avec son passé de négociateur plus que d'administrateur et c'est quelqu'un qui ne doit pas être embarrassé pour trancher dans le vif : il est sans détour sur son désir d'avoir un plus dans son cursus. "

" Ça n'a pas l'air mal "

Dit le Président, toujours admiratif devant le numéro de sa directrice des Relations humaines qu'il avait par ailleurs bien du mal à ne pas appeler chef du personnel.

" Il ne faut pas qu'il ait la grosse tête : c'est une toute petite mission, sans grands besoins et sans grands moyens "

Commenta benoîtement le sous-directeur

" Ça, c'est à l'usage que ça se voit "

Ricana Marchais,

" Mais ce qu'en a dit Liliane du bonhomme me plaît assez… Sous réserve que ce soit vrai ! "


Conclut - il en enroulant son bras autour du cou de la jeune femme. Elle se dégagea doucement et pensa qu'il était bien à la fois insupportable et charmant en proportions assez égales…

" Il s'appelle Michel et est libre à nos dates " confirma - t elle après avoir consulté le dossier "

" Bon on peut le retenir. Y en a - t - il d'autres ? "

Deux autres candidatures furent retenues.

On passa gaillardement au logisticien

" Il y en a un bon nombre qui situe mal le profil du poste "

Annonça doctement le sous - directeur en charge des candidats à ce poste

" On s'en doute ! ; le mot était inconnu, il y a seulement deux ans, de moi le premier ; logistique et paradigme sont les petits poussins de ces dernières années "

S'exclama le docteur Marchais

" Dites - nous plutôt ce qu'ils branquignolent dans le civil ; ça nous renseignera plus concrètement "

" J'ai deux conducteurs poids lourds, six chômeurs, un ex-chef de chantier mais sans références, deux éducateurs, un manutentionnaire, un postier et un électricien avec CAP qui fait de l'installation de magasins ' .

" Ne cherchez pas plus longtemps c'est notre homme ; un technicien, un vrai même à un niveau assez modeste, cela vaut tous les logisticiens qui le sont depuis la lecture de notre annonce ' .


Le Président s'avançait rarement avec autant de fermeté et Liliane se dit qu'elle avait peut - être tort de le considérer comme un dinosaure sans intérêt. On ne devient pas Président sans avoir quelques qualités ; c'était une des affirmations qu'elle avait souvent entendu dans la bouche de son père, homme sorti du rang mais dont elle admirait - parfois - la lucidité.

" Bon, ça marche, on a bien avancé notre affaire : il ne reste que l'infirmière ; combien a - t - on de candidatures ? "

" Cinq seulement : vos pronostics étaient exacts, mon cher Marchais ; on sent la pénurie… Il y a deux retraitées "

" Trop dur pour elles : en plus on ne sait rien des conditions de séjour !. Vous n'avez rien reçu à ce jour sur nos demandes de précisions ?

" Rien et j'ai faxé à trois reprises au Ministère ; il y a aussi deux qui ne semblent pas très motivés et elles se renseignent surtout sur les conditions de vie ".

" Si elles y attachent plus d'importance qu'aux conditions de travail on peut les classer de suite ".

Remarqua doucement Marchais qui se saisit de la dernière lettre de candidature et la lut attentivement.

" Elle a l'air particulièrement stable, cette petite Louise ; son diplôme et trois ans dans le même hôpital ; je vois où c'est : ce n'est pas la Mayo Clinic. Ça ne doit pas être un aigle ni un prodige de modernité technique, mais elle a l'air solide et équilibrée. Elle fait des fautes d'orthographe... "

Le Président sourit intérieurement en songeant que le père de Marchais était instituteur.

" Je vous remercie, enchaîna - t il ; c'est parfait : Liliane, nous allons leur faire un courrier et convoquer les impétrants. "

 


Chapitre VII

L'embauche

Michel, arrivé le premier, eu le temps de mieux regarder le décor dans lequel évoluait SOS - Monde ; il connaissait les lieux puisqu'il était venu à l'entretien de sélection quinze jours auparavant. La tension l'avait probablement empêché d'apprécier plus exactement la médiocrité des locaux du siège :

" Ça ne respire pas l'opulence et ça n'est évidemment pas une Multinationale "

C'est exactement la réflexion que se fit Noëlle en pénétrant dans la salle d'attente. Elle avait reçu une lettre la convoquant et lui disant l'intérêt qu'avait suscité sa candidature. Elle sentit le regard intéressé de l'homme qui occupait le siège d'angle.

" Un type habile, il a su choisir une bonne place pour surveiller les autres ; est - il médecin ? Il n'en a pas le look ; j'ai le flair pour renifler le confrère. Une certaine manière de se tenir et de regarder les autres, un mélange d'assurance et d'un zeste de supériorité… Pas très élégant… Un costume de bonne confection sans plus et puis zut je ne vais pas perdre mon temps à le détailler ; c'est lui faire trop d'honneur. "

Elle s'assit en biais par rapport à lui et n'eut pas à tirer sur sa jupe pour cacher ses jambes ; Ce geste lui déplaisait souverainement : il authentifiait la supériorité masculine et la dépendance féminine ; cela lui faisait penser à une partie d'échec où l'on donnerait sottement un coup d'avance à l'adversaire.

Un court moment s'écoula et ils hésitèrent l'un et l'autre à engager la conversation.


Un garçon, jeune, entra et. Son " Bonjour Messieurs Dames " un rien trop sonore les fit sourire intérieurement ; d'un coup d'œil, ils se rendirent compte qu'ils avaient eu la même réaction et la perception qu'ils avaient l'un de l'autre s'en trouva d'autant améliorée. L'arrivant ne sembla pas sensible à leur mouvement complice et entreprit une exploration des lieux et des gens ; il le fit sans ostentation avec beaucoup de naturel.

" Ça doit être la doctoresse et lui le responsable. Elle est trop vieille pour être infirmière et trop bien habillée ; lui, il a l'air méfiant, non, pas méfiant : il jauge… "

Ses investigations furent coupées par l'introduction d'une jeune personne boulotte, pas très grande, habillée simplement avec un manteau plus très bien adapté à la saison.

" L'infirmière ! "

Pensèrent - ils à l'unisson.

" Elle n'a pas inventé le feu "

" Elle a l'air sympa "

" Elle est bien typée hôpital - province "

Furent les réflexions qui accompagnèrent l'arrivante à son siège de Skaï fatigué. Un silence s'établit que nul n'avait envie de rompre et chacun adopta une contenance jugée naturelle, naturelle mais un peu raide…

Louise fit une rapide et discrète inspection de la pièce et se reprocha d'être arrivée la dernière. Le fait qu'ils étaient quatre réunis dans ce qui avait l'air d'une salle d'attente lui fit penser que " les autres " étaient, peut - être, les membres de la mission pour laquelle elle avait postulé avec succès. Du coup elle n'osa pas les regarder avec trop d'insistance.


L'attente fut courte et une jeune femme décidée les fit pénétrer dans une vaste pièce rectangulaire dont la majeure partie était occupée par une table de belles dimensions. Un ballet hésitant se déroula entre les " impétrants " comme le pensa Noëlle. Elle nota que les deux " jeunes " avaient attendu pour se placer que les " aînés " aient fait leur propre choix. Les deux groupes se faisaient donc face à face sur les grands cotés de la table et, symétriquement, avaient laissé libre une chaise entre " les mâles et les femelles " ; c'est ce que dit Michel qui était sensible au malaise et à la gène de la situation.

" Je suis la directrice des Relations Humaines de SOS - Monde, commença une jeune femme sur un ton qui se voulait chaleureux, mais je suis Liliane pour tout le monde ici. Monsieur Guepou, le Président, et le docteur Marchais vont nous rejoindre dans quelques instants ; nous pourrions en profiter pour nous présenter brièvement, si vous en êtes d'accord ? "

Les candidats se consultèrent du regard et Louise fut reconnaissante à Noëlle de prendre la parole en premier. Celle - ci le fit avec aisance ; elle se nomma et décrivit rapidement sa carrière médicale sans insister sur les détails.

Michel déclina l'ordre que l'âge aurait pu établir et se tourna vers Louise pour lui passer la parole. C'était un peu ce que redoutait celle - ci : elle copia sans hésiter Noëlle et après ses noms et prénoms, elle fit état de ses trois ans en médecine interne, cela notait bien pensa - t - elle, et, rougissante, redonna du regard la parole à la " Dame " de SOS - Monde ;

Celle - ci se tourna directement vers Michel qui s'inclina avec aisance - " ce que j'aurai dû faire pensa Louise - et procéda comme les deux femmes, se nommant mais il fut plus long sur son parcours ; il avait fait cinq places et les intitulés de ses fonctions laissèrent les deux " jeunes " assez intrigués par leur complication technique. Noëlle nota l'imperceptible coup d'œil que la DRH lui avait glissé et pensa que les titres et la réalité n'étaient peut - être pas tout à fait en rapport.

" Mais j'ai d'autres cordes à mon arc ! "

Conclut le troisième de la fournée et tout le monde regarda le petit dernier. René avait eu le temps de se préparer à l'épreuve et, conscient de rougir, il se décrit comme électricien " spécialisé dans les installations techniques de magasins " suivant ainsi le conseil de son camarade de chantier. Il hésitait à rentrer dans de plus amples précisions quand la porte s'ouvrit devant deux hommes et tous reconnurent le plus jeune : c'était bien le docteur Marchais qu'ils avaient vu les uns et les autres à la " télé " dans des émissions sur les actions humanitaires.

Il y eut un remue - ménage de chaises dans un grand brouhaha et Liliane céda la place en bout de table et annonça que les présentations préliminaires étaient faites.

" C'est très bien ; nous allons donc pouvoir aller au but. Je suis Jean Guepou, l'actuel Président de SOS Monde et vous connaissez tous le docteur Jean Marchais. Nous avons donc une mission au Laos à vous proposer et aimerions le faire à une équipe constituée. Il s'agit d'établir un poste médical dans une petite ville ou une bourgade au sud du pays, vers Pakxe. Vous en serez donc les initiateurs - fondateurs avec les aléas et difficultés que cela implique mais aussi les satisfactions que cela peut entraîner. "

" Le pays est tranquille - au moins en apparence - et vous aurez tous les renseignements sur la situation actuelle mais nous avons par contre peu - voir pas du tout - d'informations sur les possibilités locales de support que vous pourrez rencontrer ; Le lieu exact d'implantation n'est même pas fixé et nous n'arrivons pas, d'ici, à l'obtenir. "

" En traduisant, continua Marchais, cela signifie que vous aurez à tout faire vous - même là - bas pour éclairer votre lanterne et il faut connaître la force d'inertie Laotienne pour comprendre que ça ne sera pas facile. "

Se tournant vers Michel il continua

" Vous allez découvrir les joies du marxisme - léninisme pur et dur revu à la sauce bouddhique et assaisonné à la langueur Lao.

Ils vont toujours au plus facile et vont vous proposer n'importe quoi mais alors n'importe quoi et sans mollir ! Il faudra savoir résister et vous montrer fermes, exigeants et solidaires. Le coin est tranquille et les Cambodgiens n'ont pas fait d'émules dans la région. De ce coté là pas de problèmes ! "

Noëlle pensa que la répartition des rôles n'avait pas été faite, du moins " au sommet " : qui allait être chef de cette mission ? Elle hésita à poser la question devant tout le monde et elle décida qu'il lui faudrait absolument éclaircir ce point avant le départ mais qu'elle ne pouvait s'exposer tout de suite comme quelqu'un avide de pouvoir ; elle se félicita intérieurement de sa sagesse et de la stratégie intelligente qu'elle savait élaborer. Elle eut envie de fumer, mais se ravisa en constatant l'absence de cendriers

" Ce que nous souhaitons, reprit le Président, c'est que vous vous installiez dans une zone rurale, à une distance raisonnable de la " capitale " locale, pour leur donner un exemple d'une couverture médicale avec des moyens simples ; c'est très clairement ce que nous leur avons défini comme étant le but de votre mission ' .

" Du bon dispensaire de brousse, enchaîna Marchais. Cela ne veut pas dire, Chère Madame, que vous n'aurez pas à déployer vos talents en des domaines divers et soyez sûre que les surprises ne manqueront pas. Mais l'essentiel sera du tout - venant, je pense. "

Noëlle pensa qu'une question la poserait efficacement comme la patronne du groupe et elle s'enquit de quelle sorte de matériel ils disposeraient.

" Vous aurez le kit de base : ça ne dépasse pas le bon vieux poupinel. Du dispensaire vous dis - je, c'est cela qui vous attend et Monsieur s'occupera des problèmes administratifs et des contacts avec les autorités locales… S'il y en a… Et ça ne sera pas de la tarte !"

Michel s'estimant avoir été sollicité dans sa partie demanda ce qui les attendait pour leur logement.


La réponse du Président fut évasive au possible et Marchais enfonça le clou en rappelant que le lieu d'implantation de leur poste n'était même pas encore connu.

" Nous ne savons pas où vous allez atterrir et eux non plus j'en suis sûr ! C'est ça l'aventure, mais vous verrez les Laotiens sont adorables, paresseux et vasouillards mais adorables "

Sans que cela fût de sa part une quelconque manifestation de marquage du terrain, mû par une soudaine inspiration, René leva timidement la main et le Président, surpris du caractère non - verbal de la sollicitation, lui donna la parole d'un simple geste :

" L'électricité, c'est du 110 ou du 220 ? "

" Ah ! Bonne question ! Tu me plais jeune homme ! Je pense que la réponse risque d'être " ni - ni " ! J'ai bien peur que là où vous serez parachuté il n'y ait pas de courant et ce ne sera pas une vacherie qui vous serait destinée : la majeure partie du Laos n'est ni monétarisée ni électrifiée. Il est juste d'ajouter qu'en revanche ils ne paient pas d'impôts ni de taxes !. "

Dit Marchais de sa voix de stentor. Michel et Noëlle dissimulèrent du mieux qu'ils purent leur désappointement et leur geste de tête pouvait ou voulait aussi signifier qu'ils s'attendaient, bien sûr !, à cette situation.

" Mais tu auras un groupe électrogène et j'espère qu'il ne te donnera pas trop de soucis. Ce sera à vous, Cher Monsieur, de trouver l'essence : ça peut être difficile et vous aurez à batailler ferme contre la nonchalance locale plus que contre la mauvaise volonté déclarée ! ...donc bonne chance ! "

Tout rouge de confusion René se demanda s'il devait remercier pour les précisions obtenues et décida de ne rien dire. Michel se contenta de hocher du bonnet d'un air entendu pour manifester qu'il avait bien saisi les subtilités du jeu qui l'attendait ! .


"Il est à croquer notre électricien ! Allons cesse de penser des bêtises auxquelles tu ne penses même pas. Papa disait " Il ne faut pas penser mal car on finit par vivre comme on pense " non ! C'était plus ramassé. L'autre, Michel, est plus teigneux : me méfier "

Estima Noëlle tout en lui envoyant un sourire contenu.

Dans le même temps, Louise s'interrogeait pour savoir si elle devait ou non se manifester ; elle pensa que la question des instruments et des médicaments devait avoir fait l'objet de sérieuses études antérieures et elle pencha pour se taire, au risque de passer pour quelqu'un de passif. De plus elle était préoccupée à l'idée que sa tenue ne la servait pas :

" Mon manteau droit ça fait province et c'est trop pour la saison ; elle, elle est bien habillée ! Le responsable aussi. On est deux pauvres et deux riches, ça se voit "

Pensa - t - elle sans acrimonie en jetant un coup d'oeilau blouson de celui qu'elle nomma en elle - même, faute de mieux, " l'électricien " n'ayant pas retenu son prénom ; Didier ou quelque chose comme cela.

C'est Marchais qui l'interpella pour la solliciter ; sentant qu'elle rougissait, elle répondit de sa voix la plus ferme qu'elle avait pensé que SOS Monde avait dû prévoir, de longue date, la dotation en médicaments et instruments et que sa question risquait d'être sans objet. Marchais approuva du chef et lui fit un " beau " sourire.

" Voilà le terrain déblayé : vous avez reçu nos propositions financières et nous sommes navrés de ne pouvoir mieux faire. On ne peut donc y revenir. Notre système d'assurance est très performant et vous gardez vos droits à la sécurité sociale... Par contre nous aimerions avoir une rapide certitude sur vos dates car, pour notre programme, il serait important que vous partiez dans un mois c'est-à-dire avant le mois de juin ; vous seriez ainsi de retour pour le début de l'année. "

 

Les quatre candidats se regardèrent sans vraiment se consulter et ensemble Louise et René se déclarèrent prêts au départ et les deux " anciens " firent de même avec un léger temps de retard.

" Bien, Je vous remercie et nous sommes heureux de vous compter parmi nos camarades et amis. Je pense que le docteur Marchais pourrait conclure cette séance de prise de contact et Liliane, notre Directrice des Relations Humaines, est à votre disposition pour toutes les questions que vous souhaiteriez lui poser "

Il me souffle ce Guepou ; il emballe cela avec un rare talent et ficelle son affaire comme pas un, pensa Liliane en se soulevant légèrement de son siège pour se désigner à l'attention.

Marchais fit un topo brillant, complet des buts de l'opération : être un modèle d'action sanitaire locale dans une région très délaissée par les autorités de la Santé :

" Ils parlent sans arrêt de soins primaires et se gargarisent de ce concept de l'OMS comme d'une tarte à la crème dans l'espoir d'en recevoir la manne divine mais ils se gardent bien de réaliser des structures de soins là où elles n'existent pas.

Notre, votre rôle, pardon, sera de les y encourager par l'exemple ; vous serez la vitrine - le show - room - de ces soins primaires qui sont l'Arlésienne de la Santé au Laos. La RDPLao - République Démocratique populaire Lao comme vous aurez à l'appeler officiellement - et sans rire de préférence ! "

Il ajouta avec un débit plus lent :

" Vous allez être notre première expérience en ce pays ; Nous aurions aimé qu'un ancien soit avec vous pour vous piloter dans les aléas de ce genre de mission ; ce n'est pas que ce soit difficile mais il y a des relations avec les responsables nationaux et surtout locaux qui peuvent être délicats à négocier. "


" Un mot encore pour vous dire combien l'isolement renforce la nécessité d'être une équipe unie et de veiller jalousement à l'ambiance du groupe. En d'autres termes vous pouvez vous faire vivre un enfer comme être tranquillement heureux tout banalement : cela ne dépend que de vous. Quatre est un bon chiffre en ce sens qu'il permet assez facilement un contrôle relationnel sans tomber dans des trucs psycho - choses tarabiscotés ; de toute façon le premier psychothérapeute institutionnel est à 14 000 kilomètres et ne parle qu'anglais... "

Cette chute fit rire tout le monde et la partie officielle de la réunion se termina joyeusement. Les dirigeants de SOS Monde et leurs nouveaux collaborateurs passèrent dans une autre pièce ou un buffet sommaire - très sommaire, nota Noëlle - les attendait.

Les " Laotiens ", comme ils se nommèrent immédiatement entre eux, en profitèrent pour se serrer mutuellement la main, rite sans lequel le Français ne se sent pas complètement présenté. Ils veillaient avec de petits rires gênés à ne pas croiser leurs mains dans ces salutations alternées. Hommes et femmes ne savaient plus qui devait tendre la main le premier ni à qui ; ces règles, plus ou moins apprises, ne reviennent jamais à l'esprit au moment opportun, laissant dans la gène et la confusion.

Chacun portait sur les autres des regards affûtés mais furtifs et soigneusement camouflés. Ils avaient tous clairement entendu l'avertissement de Marchais : être ensemble n'est pas si simple quand on doit cohabiter et ils sentaient confusément que les premiers contacts auraient une influence peut - être décisive pour leur futur commun.


Chapitre VIII

Le voyage

Elle avait quitté ses parents, sa chambre et l'hôpital sans états d'âme particuliers. Elle avait couché la veille chez une cousine près des Gobelins.

L'aventure qu'allait connaître Louise avait paru une véritable folie à cette parente assez lointaine, célibataire et quelque peu aigrie ; le dernier repas avait été assaisonné des propos pessimistes de la cousine. Le climat, la langue, les séquelles de la guerre, l'état général du Laos, tout avait été prétexte à des considérations d'où il ressortait que cette mission n'avait aucun sens et ne pouvait déboucher que sur des catastrophes. Louise s'en était senti curieusement valorisé, elle et sa décision

Mais aujourd'hui était un autre jour et Louise avait mis un certain temps, au réveil, à se plonger dans la réalité de ce qui l'attendait : le temps de la monotonie des matins tous identiques n'existait plus et elle avait descendu allègrement ses bagages tout en ayant dans l'escalier une pensée pour son père ; il avait tenu à peser ceux - ci avec un luxe de précision qui avait fait rire la famille. Louise avait bien compris que c'était pour cet homme rude et dur à la tâche un moyen de lutter contre son angoisse et que lui éviter d'avoir à régler un excès de poids valait pour la protéger d'autres dangers, mal définis et peu explicites.

Elle fut contente d'elle quand elle eut repéré le car d'Air France aux Invalides. Le confort du véhicule la situait dans un autre monde que celui du banal autobus qu'elle avait pris pour venir. Après avoir réglé son billet, elle prit un air détaché pour rester sur le trottoir malgré l'invitation du bagagiste : elle avait peur qu'on ne lui dérobe ses valises et préférait garder un œil sur elles.


Une fois installé à une fenêtre et le car ayant quitté la gare routière, elle reconnu la coupole dorée du tombeau de Napoléon ; un souvenir de la France et son regard se chargea d'une curiosité qui lui était inhabituelle. Les avenues, inconnues, lui parurent ternes malgré l'animation matinale ; les autos se pressaient agressivement les unes contre les autres et les passants lui parurent accablés et sombres, mal habillés de surcroît.

Ces constatations lui donnèrent de son propre état une vue exaltante ; elle partait pour l'aventure et pour une aventure humanitaire ; cela ne se voyait pas, mais elle, elle savait que c'était son dernier trajet parisien et qu'elle partait pour une mission, une vraie.

" Je coupe les ponts et je suis déjà ailleurs : adieu la monotonie des matins toujours identiques ; Où peuvent bien aller les gens du car ? Des étrangers pour la plupart !. Ils sont silencieux, pas comme les jeunes de Bruay. C'est déjà derrière moi !. "

Le monde clos et feutré du bus lui manqua lorsqu'elle se vit seule sur le trottoir devant la façade verte d'Orly Sud, ses bagages à ses pieds. Elle consulta par acquis de conscience sa convocation : porte 7 devant le comptoir de Philippine Airlines et, ses valises à bout de bras, elle partit en quête des " autres ".

Devant le logo coloré de Philippe Airline - un soleil éclatant sur fond rouge et bleu - il n'y avait personne et la loge de la compagnie était vide. À ce moment, celui qu'elle désignait comme l'électricien arriva poussant devant lui un chariot où s'empilaient une montagne de cantines toutes identiques avec de larges étiquettes de SOS - Monde. Louise rangea rapidement ses valises devant le comptoir et, ayant serré la main de " l'électricien ", se mit en devoir de l'aider à décharger les colis.

Ils en étaient à la moitié quand " l'administrateur" arriva accompagné d'un inconnu. Celui - ci avait l'air affairé et semblait très au faite des problèmes pendants. Il consultait des papiers qu'il passait au fur et à mesure à celui qui s'appellait Michel;


" Non ! Non Rechargez- moi vite tout cela", dit ce dernier, " il faut les porter au guichet d'enregistrement ; si on perd le chariot, on est foutu ! Faudra tout se coltiner à la main ! . Mais à cette heure on ne sait pas encore où se fait l'enregistrement ! "

Louise nota que l'électricien avait rougi et cela le lui rendit sympathique. Elle serra la main des deux arrivants et une conversation décousue s'engagea péniblement. Philippe Airlines est une bonne compagnie, pas chère, - l' " administrateur " leva un sourcil - arrangeante quand aux excès de poids. Mais elle avait parfois du retard ! Il faudrait savoir à quel endroit se feront les formalités d'embarquement pour être bien placé dans la queue et éviter la cohue... Il faudrait essayer de trouver un indice, indiqua le représentant deSOS - Monde !

L'électricien proposa à Louise d'aller faire un tour d' horizon" à tout hasard" . Ils partirent ensemble explorer les différents secteurs de l'aérogare. Le nombre infini des comptoirs les surprit et la réussite de l'expédition leur paru bien aléatoire mais agir ou faire semblant était un bon dérivatif. Le grand panneau des départs mentionnait leur vol " PR 205" mais ne donnait pas, pas encore d'indications.

Au - dessus des guichets flanqués de leur bascule Louise remarqua que des noms de compagnies inconnues figuraient parfois avec des logos eux aussi inconnus. Garuda ! Cathay Pacific ! Iranair !. Elle pensa que les compagnies exotiques devaient avoir été regroupées dans la même zone et en fit la remarque à son compagnon qui approuva chaudement.

La chance les servit : deux comptoirs d'enregistrement, dans l'angle d'une grande salle au bout de l'air port portaient le logo de Philippe Airline mais ils étaient vides, abandonnés à eux - mêmes.

A leur retour, le " Docteur " , comme l' appelait René en son for intérieur, était là, en saharienne kaki, fort élégante - et pratique - pensa Louise, au moment où Michel, moqueur, fit mine de s'étonner de cette tenue para - militaire pour " aller à Bangkok ! "


Les formalités d'embarquement commencèrent fort à propos et mobilisèrent les bonnes volontés de tous : leur chariot de cantines ne passa pas inaperçu et la durée de leur enregistrement déclencha quelques récriminations de certains passagers dans la queue qui s'était formée. Noëlle fit taire tout le monde par une intervention sans réplique :

" Si vous croyez que nous allons là - bas pour notre plaisirvous vous trompez ! Les avions servent aussi à autre chose qu'à faire du tourisme de masse ! "

Sur ce, Michel fut obligé, malgré une tentative véhémente de résistance, d'aller payer une surtaxe liée au poids de leurs impedimenta ; il en faisait d'évidence une question d'amour propre et de n'avoir pas eu gain de cause le laissa très irrité.

Se trouver dans le Boeing 747 placés les uns à coté des autres dans la rangée centrale ne fit qu'accroître sa mauvaise humeur.

" On croirait une famille ! on ne va pas être collés les uns aux autres sans arrêt "

Louise regrettait de ne pas être près d'un hublot pour mieux voir le paysage, mais elle jugea sage de ne pas faire part de son petit désappointement. Elle était déjà bien contente de " faire de l'avion " pour la première fois de sa jeune existence et elle enregistrait tous les détails qui la frappaient et Dieu sait s'il y en avait. Les pictogrammes lumineux parlaient d'eux - même mais elle buta sur " Fasten seat belt " ; seat c'est siège, fasten ce doit être vite comme fast....

Ce fut René qui la tira de son inspection dont elle ne souhait pas que les autres se rendent compte.

" On n'est vraiment pas nombreux ! J'ai compté : même pas quarante ! On a presque l'avion pour nous tout seuls ! Je me demande comment ils font leurs frais "


Un joyeux babil pépiant les interrompit : la jeune hôtesse était bien exotique à souhait, petite, rondelette, avec une chevelure de jais et un sourire éclatant.

" Son anglais est détestable, mais j'ai cru comprendre qu'on s'arrêterait à Zurich ; c'est curieux ! "

Annonça Michel sur un ton hargneux ;

" On va passer au-dessus de Zurich, ça oui ! mais y faire un stop cela m'étonnerait "

Commenta mollement Noëlle.

Le bruit de roulement du Boeing sur la piste les fit taire momentanément et les deux néophytes étaient tous yeux pour enregistrer ces nouveautés. Ils eurent à peine le temps d'en faire l'inventaire qu'une jeune Philippine au sourire enjôleur leur proposa des jus de fruits comme si elle leur faisait don d'elle - même.

" C'est le luxe, à défaut d'autre chose j'aurai connu cela et elle est drôlement mignonne ; elles ont du chien, comme on disait ! "

Pensa René. Son regard n'échappa pas à Louise qui s'étonna que cela lui déplaise tant !

Peu de temps après - un temps court leur sembla - t il -, la voix souriante babilla quelque chose d'incompréhensible et les lumières s' allumèrent au-dessus d'eux. Malgré leur surprise, ils obéirent, fermèrent leurs ceintures et l'avion commença à descendre. René en se poussant du col entrevit des montagnes vertes à droite et à gauche de l'appareil qui toucha la piste en douceur. Zurich : les lettres bleues ne laissaient aucun doute et Michel lança un regard triomphant en direction de Noëlle

" À ce rythme - là on sera à Bangkok dans la semaine "

Ils furent priés de rester à bord et les jeunes en profitèrent pour explorer leur bel avion. Ses dimensions étaient impressionnantes et ils auraient bien voulu visiter le pont supérieur. Louise jeta un bref coup d'œil entre les rideaux qui interdisaient vers l'avant, le Saint des Saints aux larges fauteuils vides.

Un groupe de quinze personnes monta et rapidement le cérémonial du décollage - un rite déjà familier - se déroula et, à l'altitude de croisière, un plateau-repas - " comme à la cafés" leur fut servi ; tout était calme et ordonné, pensa Louise, " c'est ça le luxe ! "René se fit la même remarque, mais l'un et l'autre gardèrent pour eux leurs réflexions.

Ils s'endormirent bercés par le ronflement des réacteurs et furent réveillés par leur hôtesse qui, tout sourire, leur fit comprendre par gestes d'avoir à se préparer à un nouvel atterrissage ;

" C'n'est pas le T.G.V., c'est la ligne C du RER ; on ne loupera aucune station "

Ronchonna Michel, dont la chevelure était en bataille.

En fait de montagnes vertes ce fut un désert, plat et gris que René entrevit avec, au dernier moment, des étendues impressionnantes de cubes blancs réparties sur des damiers violemment éclaires par d'innombrables lampadaires.

On descendait à Dubaï, pour des raisons techniques, expliqua doctement Michel... et surtout parce que le kérosène est moins cher ici que partout ailleurs, compléta un grand Suisse qui patientait avec eux pour recevoir la carte de transit.

L'intérieur de l'aérogare était impressionnant par ses dimensions à la limite du démesuré et par le luxe de ses matériaux. Là, tous étaient snobés et pas seulement les néophytes. Ils dérivèrent lentement dans l'air climatisé vers la zone duty - free.


Le nez collé aux vitrines, ils contemplaient les bijoux, les montres serties de diamants littéralement obscènes, les kilomètres de chaîne d'or pendant à des crochets comme vulgaires saucisses, passant d'une boutique Gucci à celle d'Hermès sans éprouver plus que de la stupeur.

"Il y a des pays riches, trop riches et cela uniquement par la grâce de leur pétrole"

Jugea René à qui cet état de fait paraissait injustifié.

Au retour dans " leur " avion, une surprise de taille les attendait ; la carlingue était envahie par une foule d'hommes petits et noirs de poil, tous assez identiques, à la limite des clones, gesticulants, s'interpellant joyeusement, se bousculant pour arriver à caser d'innombrables colis dont de monstrueux sacs de toile cirée bleue pleins à craquer.

Michel, l'air pincé - ça n'était pas sa journée - se retrouva avec un téléviseur de bonne taille sur les genoux, le temps que son propriétaire s'active à trouver un endroit à la fois de taille et de confiance pour cet objet précieux...

Le décollage imposa un silence religieux, marqué par d'innombrables signes de croix répétés à vive allure mais à peine l'ordre de détacher les ceintures donné ce fut un assourdissant concert de cris de joie, de hourras, d'interpellations et d'embrassades passionnées.

" They are going back home, for holydays !! "

Commenta, complice, leur hôtesse et on la sentait toute prête à participer à la liesse générale. L'équipage devait être habitué à ces scènes déchaînées et un nouveau repas, plus copieux, fut immédiatement servi obligeant chacun à rester assis - au moins quelques minutes !

Le calme qui s'en suivit permit aux Européens, minoritaires, de s'endormir pour la plus longue partie du vol. Subrepticement, Noëlle fit tourner devant les yeux étonnés de Louise un mince bracelet d'or à son poignet et lui confia :

" Je n'ai jamais su résister à de telles tentations ; je suis une addict aux bijoux ! "

Cela surprit Louise dont le sens de l'économie était proverbial et, avant de s'endormir, elle s'interrogea sur le devenir de leur groupe. Deux jeunes en face de deux vieux, mais aussi deux subalternes devant deux chefs, pas évident tout cela dans l'ambiance d'un isolement probable.

René lui poursuivait une réflexion sur le besoin qu'avaient ces pays, riches de leur pétrole, d'avoir ainsi recours à des esclaves et c'est bien la première fois que sa pensée s'élevait à ces sommets de la geo - politique !. Il hésita à faire part de sa réflexion à Michel, son voisin et lui aussi versa dans le sommeil.

Noëlle, réveillée la première, pensa :

" Quel privilège que la jeunesse "

En voyant Louise, le teint frais, qui s'étirait lentement lors du réveil brutal par micros interposés. Le petit-déjeuner fut expédié sans histoires. Louise et René étaient déjà rodés aux gâteries que les compagnies d'aviation dispensent à leurs clients et cela leur paru naturel, même si cela était d'une nouveauté encore toute neuve, les saucisses notamment... au petit-déjeuner ! ! !

René réussit, en se haussant le col et en se décollant de son fauteuil sous l'œil réprobateur de l'hôtesse, à apercevoir le sol qui lui paru parfaitement plat et il saisit au vol la vision d'un temple au toit doré tarabiscoté ; il n'eut pas le temps de faire partager sa découverte de l'Asie que les roues du Boeing touchaient violemment terre.

Quelque peu abasourdi les quatre membres de SOS - Monde " s' assurèrent de n'avoir rien oublié à bord " all your belongings " et se retrouvèrent dans une glacière. La climatisation en France n'a jamais eu grand succès mais en Thaïlande c'est une obligation dont on ne saurait se passer et dont on abuse, pensa Louise en éternuant à plusieurs reprises.


Michel avait pris la tête du groupe qui le suivait de confiance. Ils suivirent la ligne marron qui conduisait aux " connecting flights " et Michel n'eut pas à faire étalage de sa connaissance de l'anglais. La jeune Thaï s'empara de leurs billets, conversa avec l'ordinateur et leur tendit quatre nouvelles cartes d'embarquement en les conviant du geste à pousser une porte derrière eux :

" Gate forty eight ! Down stairs "

Ils se retrouvèrent, stupéfaits, dans un immense hall dont le centre était occupé par une pagode de belles dimensions. Des foules pressées ou nonchalantes se succédaient et leur donnaient un panorama complet de l'Asie. Un groupe compact de " Chinois " ( terme générique ) précédait une foule dispersée d' Hindous -ou de Birmans - qui s'égaillaient dans les rayons de la Pagode. Un haut-parleur totalement incompréhensible semblait rythmer ces passages successifs de voyageurs ballottés d'un coté à l'autre de l'immense air port en vagues qui se contrariaient parfois en des encombrements de chariots.

Le jaune disparaissait remplacé aussitôt par le brun, décliné dans toutes ses nuances, avec le curieux intermède offert par de grands blonds aux femmes gigantesques, aux normes du pays : des Suédois à n'en pas douter...

Louise reconnu sur le tarmac démesurément agrandis sur les queues des Boeings les étranges logos des compagnies d'aviation qu'elle avait repéré quelques heures plus tôt à Orly ; mais ici ils avaient la majorité et tenaient le haut du pavé.

La gate 48 était bien loin et les passagers du vol Lao - Aviation commençaient à désespérer lorsque tout au bout de l'immense couloir ils avisèrent un simple escalier qui descendait vers les portes 40 et la suite.

Ici, foin des salles d'attentes sur dimensionnées et confortables qu'ils avaient longé lors de leur recherche de leur vol, mais cinq ou six comptoirs tout simples devant des rangées de fauteuils en batterie. Seule la climatisation restait opérante comme ailleurs.


Et à la " gate 48 " - " Gate c'est porte " notèrent ensemble mais sans se le dire René et Louise " - un simple écriteau en carton mentionnait : " Lao - aviation " et une dizaine de personnes, toutes asiatiques, attendaient sagement, des montagnes de colis entassés, soigneusement regroupés à leurs pieds.

Le petit homme en uniforme fatigué d'un bleu terne qui se tenait derrière le pupitre ne répondit pas à la question de Michel si ce n'est par un geste las désignant les fauteuils. Ils s'assirent et Noëlle en profita pour se déchausser et reposer ses jambes sur le siège devant elle, initiative que René jugea, sans l'exprimer, déplacée dans un " pays que l'on ne connaît pas" .

Peu à peu des familles, laotiennes à n'en pas douter, - " la race est petite " nota Noëlle sans plus y attacher d'importance - meublèrent la petite partie de la salle dévolue à Lao - Aviation. Quelques " blancs ", tous des géants, pensa Louise, arrivèrent avec l'air détaché de ceux qui savent mieux voyager que les autres ; certains se regroupèrent et commencèrent à bavarder ensemble.

Michel et René se rapprochèrent et finirent par se faire interpeller, ce qui était le but de leur manœuvre. Michel se présenta sous le couvert de SOS - Monde :

" Vous ne serez pas les seuls : les ONG ne se marchent pas sur les pieds mais presque. Le pays est en train de changer ! on y voit même des voitures civiles... c'est dire, des Toyotas bien sûr !"

Et nos deux amis recueillirent nombre d'informations dont certaines pourraient être utiles ; Oui ! ils avaient des dollars - attention ! il n'y a pas de banque et vos francs ne valent rien ; changez - les ici pour des baths, c'est le plus rentable. Le cours de la monnaie locale - le kip, apprirent - ils - est changeant : mieux vaut payer en baths ou en " green ".

" Bath ?"

Interrogea René sous l'œil compatissant de son administratif.


" La monnaie thaïe "

Daigna expliquer l'un des " anciens "

Ni Michel ni René n'avaient idée de ce qu'était ce green si conseillé comme monnaie. Jouant consciencieusement le rôle des " bleus " sagement attentifs, les langues des anciens se délièrent voluptueusement à leur attention dans un déluge d'informations les plus diverses et présentées dans un savant désordre.

" Ils en sont toujours au Marxisme - léninisme - personne n'a dû leur dire que l' URSS était finie ; en fait ils attendent que le temps leur apporte une solution clef en main. C'est un communisme nuance théravada ( ? ) Plus paresseux tu meurs ! La situation s'améliore quand même. "

" Quel est votre contact local ? "

Demanda un jeune homme à l'allure décidée.

" Le Ministère de la Santé "

Répondit fièrement Michel

" Non ça c'est pour l'officiel : totalement inefficace ! Il vous faut un type qui vous guide pour les choses de la vie quotidienne, sans ça vous serez complètement perdus ! "

" C'est un dénommé Gauthier qui doit réceptionner notre matériel"

" De toute façon il n'y a que lui et c'est un type bien mais un peu dépassé : il a pris la teinte locale : ce n'est tout de même pas lui qui vous a dit de prendre Lao Aviation ?"

" C'est un choix fait par SOS - Monde notre organisation à Paris "

Les " anciens " échangèrent des sourires entendus. Le petit homme chétif du comptoir appela d'une voix étouffée les passagers. Les " locaux se précipitèrent en premier et les Occidentaux, dont deux couples mixtes, montèrent ensuite dans un bus climatisé à faire frissonner qui entreprit un long périple dans l'immense air port ;

" Ils n'ont pas dû payer la taxe ! "

Insinua un des Occidentaux, interlocuteur des gens de SOS - Monde. L'avion, un tout petit bi - réacteur de race inconnue - du moins de nos héros -, était caché derrière un gros Airbus et semblait être son bébé encore au sein.

En franchissant la porte de l'avion une surprise attendait les voyageurs - du moins les novices. Les bagages occupaient l'avant de l'appareil et les Occidentaux - les Blancs - furent conviés les premiers, les Laotiens se trouvant relégués au fond de la cabine.

Michel se glissa sur le siège à coté d'un des anciens et en profita pour enrichir sa culture laotienne. René eut la joie enfantine d'avoir - pour la première fois - " son " hublot et il en fut enchanté comme d'un cadeau somptueux. Le vol fut court et, contrairement à certaines appréhensions, sans histoires. René fut ébloui par les immenses colonnes de nuages " de vrais champignons atomiques " qui montaient verticalement vers le ciel à des hauteurs impressionnantes.

" Quand ça tombe, il vaut mieux avoir le toit d'une bonne maison au-dessus de soi ! "

Dit - il en se retournant vers ses deux compagnes assises derrière lui ! Toutes à leur conversation, elles n'avaient même pas prêté attention à ces étonnants phénomènes météorologiques.



Une mission humanitaire comme les autres

Une annonce.
Chapitre II Louise.
Chapitre III Michel.
Chapitre IV Noëlle
Chapitre V René.
Chapitre VI À S.O.S. - Monde
Chapitre VII L'embauche
Chapitre VIII Le voyage
Chapitre IX Vientiane
Au Laos
Chapitre XI Jours d'attente
Chapitre XII Pakxe - L'installation
Chapitre XIII Premiers pas à Champassak
Chapitre XIV Le blessé
Chapitre XV Les voisins
Chapitre XVI Amours
Chapitre XVII Des bienfaits du Laos
Chapitre XVIII Noëlle et Pascal
Chapitre XIX Dernières Nouvelles
 



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