Une mission humanitaire comme les autres
Roman écrit par Dr Pierre BAILLY-SALIN
Une annonce.
" O.N.G. cherche pour mission six mois en Asie une équipe comportant médecin, infirmière, responsable administratif, logisticien. Lettre manuscrite et photo. Écrire au Journal qui transmettra. "
Chapitre II
Louise.
Louise entra dans la salle de repos de son étage et vérifia d'un coup d'il rapide qu'il y avait du café sur la bouilloire. La transmission avec l'équipe du matin avait été rapide et simple ; elle avait fait le tour de ses lits et cela avait été, par force, expéditif : la majeure partie des chambres était encombrée de familles qui tournaient maladroitement autour du lit de " leur " malade, les plus âgées des visiteuses monopolisant le fauteuil, les plus jeunes s'étant faite une place sur le lit en remuant doucement leur postérieur pour ne pas incommoder la parente - patiente ou la patiente - parente, au choix.
L'après - midi s'annonçait tranquille, bien que l'imprévisible soit partie intégrante de la vie d'une équipe soignante, même dans un service de médecine interne : cela Louise, malgré son caractère optimiste, le savait d'expérience.
Elle se servit une tasse de café et tout en s'asseyant, saisit le journal qui traînait négligemment ouvert sur la table. Elle le parcourut en diagonale : l'intérêt qu'elle portait à la politique se limitait strictement aux nouvelles du pays, groupées en page 4 : le conseil municipal avait décidé de refaire le square Allix, l'Amicale du Patchwork annonçait sa vente annuelle ; elle compta les enfants nés " rue Paul Cabet " ainsi que les décès à cette même adresse, celle de l'hôpital : cela donnait une indication suffisante de la marche des choses.
Tournant la page, elle lut distraitement le texte de l'annonce de l'ONG - ONG ? Ah ! Oui : Organisation Non Gouvernementale. L'Asie, c'est vague et cela ne lui parla pas clairement. Six mois : ça n'est pas mal, ni trop court ni trop long : la bonne durée ! Quatre personnes ! Ça n'est pas beaucoup ! Un renforcement d'équipe probablement.
L'arrivée d'Arlette, dite Mémère, et le volume sonore qu'elle mettait dans une pièce arrêtèrent net ses réflexions puis l'après midi se déroula doucement, sans a - coups. Louise eut du temps pour bavarder avec ses patientes ; c'était devenu rare depuis la réduction du temps de travail, la RTT pour les initiés et surtout depuis que l'ordinateur, molosse exigeant et impénétrable, devait être consulté pour tous sujets et, en retour, abondamment pourvu de chiffres.
Elle n'avait, pour cet objet, ni vénération dévote ni répulsion systématique. L'initiation avait été difficile, mais l'interne du moment avait été vraiment chic et l'avait bien aidé. Sans lui pincer les fesses ni lui faire du rentre - dedans : un garçon bien honnête.
La jeune infirmière laissa filer sa pensée sur le fait, un peu curieux, qui faisait que les garçons, en général, ne se montraient pas très entreprenants vis - à - vis d'elle. Le plus souvent cela l'arrangeait plutôt, mais, comme cet après-midi, elle s'interrogeait sur la réserve qu'elle semblait imposer aux hommes, pas à tous, mais aux hommes bien.
Louise avait une conception très précise de l'homme bien : célibataire, vraiment libre, gentil, doux, prévenant et pas trop vilain garçon. Voilà : ça ne courrait pas les rues et dans ce modeste hôpital de l'Artois il y avait peu de candidats potentiellement valables.
Après le dîner et les soins du soir, il y avait un moment vide avant l'arrivée de l'équipe de veille : les infirmières gouttaient ces rares moments creux et Louise laissa son regard flotter sur la verte campagne autour de l'hôpital. Verte mais plate et insipide avec de banales cultures et ce seraient, comme tous les ans, des betteraves qui seraient leurs univers visuels.
Arlette, par extraordinaire, n'était pas d'humeur causante et s'était saisie du quotidien, activité " intellectuelle " rare chez elle.
" Tiens t'a vu le journal ! Ils recrutent pour les colonies : comme si on était assez nombreuses ! L'Asie c'est la misère noire ! (rire) Mieux vaut balayer devant sa porte "
La jeune infirmière se rappela l'entrefilet : L'Asie : cela n'évoquait pas les mêmes choses que chez Arlette. Elle laissa son imagination flotter : un curieux mélange de rizières en terrasses - origine : " Géographie " feuilleté au chevet d'une malade, grande lectrice ; de buffles enlisés dans des ruisseaux de boue - origine : La guerre d'Indochine dans " Historia " Et puis les pousses - pousses mais n'était ce pas plutôt l'Inde ? Et l'Inde était-elle en Asie ? Le mot Mousson, plus inquiétant, et l'enfer du jeu de Macao : origine le ciné-club !
Moyennant quoi, six mois d'une telle expérience, cela valait peut - être le coup. Dans le calme de la salle de soin, elle entrevit tous les avantages de cette affaire. Quitter ce trou, faire des choses nouvelles et probablement intéressantes professionnellement avec un encadrement plus jeune et plus dynamique, voir du pays, vivre
" À quoi rêves - tu ? Tu en as la bouche ouverte ! "
Demanda Arlette, surprise par le silence, denrée qu'elle supportait mal. Louise se reprit et éluda la question, peu désireuse de faire part de ses pensées. Dans le tohu - bohu du départ il ne lui fut pas difficile de glisser subrepticement le journal dans son sac : le geste la surprit et elle s'assura que sa collègue n'avait rien remarqué.
Michel.
" Sèvres - Lecourbe " Michel avait à peine eu besoin de réfléchir pour écarter les jambes et assurer son équilibre tant il savait que la rame de la ligne Nation - Charles De Gaulle allait être secouée par le virage à cet endroit précis.
" Sèvres - Lecourbe : Lèvres se courbent ' . Il se faisait régulièrement le même jeu de mot dont la connotation érotique suffisait à lui faire jeter un coup d'il circulaire et investigateur sur les passagers du wagon, évaluation rapide et comme toujours sans intérêt évident et immédiat.
Il reprit la lecture de son journal et lut rapidement puis relut l'annonce de cette ONG en quête de personnel :
" Pas bête leur référence à l'Asie ; cela va faire saliver les joyeux lurons et les changer des Médecins sans frontières et infirmières sans culottes. Six mois Six mois Si je réussis à me faire lourder par la mère Xavière avec mes indemnités, cela collerait bien. Responsable administratif avec expérience internationale : ça peut faire bien dans un CV, même très bien ! On doit parler anglais en Asie. Combien peuvent - ils payer un responsable administratif ? Mais il y aurait les indemnités si je me fais licencier À voir ! "
Michel replia le journal, le glissa dans sa sacoche et descendit à Bir Hakim rejoindre sa " boite " en imaginant - mal d'ailleurs - une Asie mythique mais en sachant aussi que cela remplirait bien des vides dans son existence actuelle !
Noëlle
" Non ! Décidément vous n'avez pas le profil : la promotion des médicaments, on sent trop que ça n'est pas votre problème ; vous êtes libre dès maintenant et, avec votre titre, vous ne serez pas en peine de trouver du travail et un travail qui vous conviendra mieux. Nous garderons de vous le meilleur souvenir et n'hésitez pas faire appel à nous si vous en avez besoin... "
Enveloppez c'est pesé : il a du coffre le confrère et il t'expédie ça vite fait bien fait. Je ne vais pas me battre : je n'en avais rien à foutre de leur boutique. Si encore j'avais été intégrée aux essais cliniques mais là ! De la visite médicale améliorée en forme de dîners chiants à faire la quart de pute. J'en ai rien à cirer mais quand même je n'ai pas de chance : tout me lâche ! Merde !
Que faire maintenant ?. Se taper de la clientèle avec les clients actuels, chiants et rouspéteurs, ou s'associer mais il faut trouver avec qui et où. Merci pour la cambrousse. L'hôpital : faut pas rêver, je n'ai rien foutu depuis deux ans...
Tout en dévidant son chapelet de récriminations, Noëlle rangeait machinalement son bureau ; c'est vrai qu'elle l'avait peu investi ce bureau : c'est vrai que cela ne cadrait pas avec ses idéaux de jeunesse mais elle n'avait pas fait d'efforts. Dix ans de médecine pour en être là : ne rien avoir comme projet et avoir une vie personnelle tout aussi pauvre que la vie professionnelle : non vraiment il n'y a pas de quoi pavoiser
Elle eut un sérieux coup de blues et pria pour que personne ne vienne la troubler dans son déménagement. Dans la boite " Courrier : arrivé " il n'y avait qu'un canard de vulgarisation professionnelle, preuve s'il en était que son sort était déjà fixé dans les instances de la maison.
Elle y jeta un vague coup d'oeilet tomba immédiatement sur une annonce proposant un emploi de médecin - sans plus de précision. Six mois : c'est bien ! L'Asie ? Faut connaître ! Il doit y avoir du bon et du moins bon. Qu'est ce que ça peut cacher cette Asie ? Pour des francophones, ça pourrait être le Vietnam ou le Cambodge, rien d'autre à priori.
Mais pourquoi pas ? Pourquoi pas ? Attention ! il y a déjà eu assez de bêtises dans ma vie pour ne pas se lancer à l'aveuglette dans une histoire à la noix. Qu'est ce qui en moi me fait rater plus ou moins tout ce que j'entreprends ? J'allais encore me lancer sans réfléchir dans un plan pas possible !
Mais, après tout, on peut toujours se renseigner : de l'humanitaire, cela me permettrait de faire de la médecine sans subir de pression, de reprendre contact avec la clinique. Le contexte me protégera : c'est un peu ignoble à penser comme cela : j'en suis là ! Merde !
Et puis cela m'éloignera des séquelles de mes aventures sentimentalo - sexuelles ; je ne suis pas douée pour ce genre de sport et je ne tolère pas le regard navré de maman sur mon gâchis ! Elle en est encore à regretter ce salaud de J.P., comme si elle pouvait savoir !
Elle plia le journal et le mit dans son sac au-dessus du maigre fatras de ses affaires personnelles récupérées dans les tiroirs de son bureau, enfin de son ex - bureau, et fit un adieu définitif à la pratique des laboratoires médicaux !
René.
" Tu sais ce que c'est exactement un logisticien ? "
Demanda René en finissant son épissure sur le chantier de la boulangerie qu'ils étaient en train de refaire à neuf.
Son compagnon leva la tête et le questionna du regard :
" C'est à moi que tu poses la question ? Attends ! Je sais pas trop ! La logistique c'est un peu comme l'intendance, je crois du moins. C'est celui qui fait marcher la baraque ou lui permet de fonctionner, un truc un peu comme cela. Pourquoi tu me demandes cela ? "
" J'ai lu une annonce ce matin qui demandait un logisticien, et une infirmière, un médecin et un type de l'administration pour une mission en Asie : six mois. "
René hocha la tête : c'était à peu près ce qu'il pensait de la logistique - tique ou tic ? -. Il avait une grande confiance en son collègue, un homme de la trentaine, posé et bosseur, organisé : un type bien, avec qui il aimait faire équipe.
Un temps de silence régna sur le chantier.
" Tu devrais faire gaffe : dans ces histoires humanitaires c'est plus ou moins de la charité et du coup ils payent avec des élastiques, c'est du moins ce que j'ai entendu dire. Sans ça tu as assez roulé ta bosse sur des chantiers pourris pour savoir te débrouiller, s'il s'agit bien de ce que je pense ; au fond à mon avis, c'est de la maintenance très banale et il ne doit pas y avoir des masses d'appareils compliqués dans ces bleds. "
" J'ai envie de voir du pays et de faire en même temps des choses qui me sortent de l'ordinaire ; tu vas rire mais je regrette presque qu'ils aient supprimé le service militaire "" Dans un sens, je te comprends. À ton âge, ça se discute, mais ça dépend surtout de ce qu'on te propose. Faudrait pas que tu te déqualifies, tu vois ce que je veux dire ! ; c'est ça qui me paraîtrait le plus dangereux. À mon avis sois prudent et vas voir, ça n'engage à rien "
René passa le reste de la matinée à penser avec des phases d'intensité variable au choix qui s'offrait. Parfois il s'enthousiasmait : l'Asie, les tropiques, la mousson, l'aventure ! : six mois ça peut être une bonne expérience. Parfois les inconvénients lui paraissaient insurmontables : quitter sa chambre de bonne, laisser ses affaires, et la boite Et les parents ; son père ne dirait rien, comme d'habitude mais sa mère serait peut-être inquiète de le savoir au loin. Être le motif d'un souci lui paru un temps flatteur puis il pensa à l'inconnu et à ses dangers : l'annonce ne lui paru plus aussi alléchante.
Il fut même traversé par l'idée :
" Et la Sécu ? "
Et cette réflexion le choqua comme une énormité :
" Merde ! Je deviens un croûton de première classe ! J'en suis là ! C'est pas possible ! Allez Hop, j'écris : on verra bien "
Une mission humanitaire comme les autres
Une annonce. Chapitre II Louise. Chapitre III Michel. Chapitre IV Noëlle Chapitre V René. Chapitre VI À S.O.S. - Monde Chapitre VII L'embauche Chapitre VIII Le voyage Chapitre IX Vientiane Au Laos
Chapitre XI Jours d'attente Chapitre XII Pakxe - L'installation Chapitre XIII Premiers pas à Champassak Chapitre XIV Le blessé Chapitre XV Les voisins Chapitre XVI Amours Chapitre XVII Des bienfaits du Laos Chapitre XVIII Noëlle et Pascal Chapitre XIX Dernières Nouvelles
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