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La Tour de 300 mètres de l'Exposition de 1889
Tour Eiffel à Paris


Article extrait par Dr Aly ABBARA de :
Louis FIGUIER. " L'année scientifique et industrielle - trentième année (1886) "
Paris ; librairie Hachette et C. 1887. p:246-250.


La Tour de 300 mètres de l'Exposition de 1889

Le sort en est jeté, la tour Eiffel sera construite! Le nouveau colosse de Rhodes servira de clou, comme on dit au théâtre, à l'Exposition de 1889. Elle s'élèvera au milieu des constructions et bâtiments qui rempliront à cette époque la vaste étendue du Champ de Mars et lieux circonvoisins. Ainsi l'a décidé M. Lockroy, ministre du commerce et de l'industrie.

Cette tour-phénomène, qui aura sa base sur l'humble plancher des vaches et des humains et son sommet dans les nuages, est brevetée pour sa construction au nom de MM. G. Eiffel et G. Nouguier et Koechlin, ces derniers ingénieurs de la maison Eiffel.

Cette tour sera formée par une pyramide en fer à quatre arêtes courbes, réunies deux à deux, à leur partie inférieure, par des arcs de 50 mètres de hauteur, d'un aspect très peu décoratif et nullement pittoresque.

L'écartement des pieds est de 100 mètres. Au premier étage, c'est-à-dire à 60 mètres au-dessus du sol, les montants formant les arêtes sont réunis par une galerie vitrée, de 15 mètres de largeur, qui fait le tour de la construction. Dans cette galerie, d'une surface de 4200 mètres, y compris les balcons, seront installés des cafés, des restaurants, des salles de réunion, etc.

Au deuxième étage, à environ 150 mètres de hauteur, on trouve une seconde salle vitrée, de 30 mètres de côté.

Le sommet de l'édifice est couronné par une coupole, avec balcon extérieur de 60 mètres de développement, d'où l'on découvrira, dit-on, un panorama de 100 kilomètres d'étendue.

Des ascenseurs disposés dans les montants de la tour serviront à transporter les visiteurs jusqu'à la plate-forme supérieure.

Jusqu'au second étage, ces ascenseurs, au nombre de quatre, un dans chaque montant, suivront l'inclinaison de ces montants. Au delà du second étage, il n'y en aura plus que deux, qui monteront verticalement jusqu'au sommet de la tour.

La durée d'une ascension complète sera de 6 à 7 minutes, avec une vitesse d'un mètre par seconde.

Des escaliers en nombre égal aux ascenseurs suivront le même parcours, et permettront aux visiteurs qui ne reculeront pas devant une ascension à pied de 60 mètres de hauteur, d'accéder aux galeries du premier étage.

On ne dit pas encore de quel mécanisme seront les ascenseurs. La chose pourtant vaudrait la peine d'être précisée. Nous avons des ascenseurs pour maisons, hôtels et gares de chemins de fer, qui élèvent des charges à la modeste hauteur de 20 à 30 mètres ; mais dix fois plus haut, voilà un problème mécanique intéressant. On ne nous dit pas, malheureusement, comment on l'a résolu.

La surface sur laquelle se répartit le poids de la tour est si considérable, que la pression par centimètre carré sur le sol n'est que de 22 kilogrammes. C'est à peine celle que donnent les constructions ordinaires de Paris. Elle correspond exactement à la pression qu'exercerait sur le sol un mur plein en maçonnerie qui n'aurait que 9 mètres de hauteur.

Quant à la résistance que le colosse métallique apportera au vent et à la tempête, elle a été calculée pour qu'il supporte normalement une pression de vent de 300 kilogrammes par mètre carré, ce qui correspond à une poussée totale de 2 250 000 kilogrammes. Les plus fortes tempêtes observées à Paris n'ont jamais été accompagnées d'un vent de plus de 150 kilogrammes par mètre carré ; d'où il résulte que si, par malheur, un vent de 300 kilogrammes venait à souffler sur la capitale, il est probable que la plupart de ses monuments seraient détruits, tandis que la tour de 300 mètres résisterait victorieusement à cet ouragan, sans précédent dans la région de Paris.

De même qu'on calcule très exactement à l'avance les flèches que prennent les grands viaducs métalliques sous le passage des trains de chemins de fer, de même on peut déterminer avec la plus grande précision les oscillations que prendra la tour sous l'effort du vent. Le calcul indique que la flèche prise par la tour au moment d'une tempête assez violente pour rendre son sommet inabordable, ne sera que de 22 centimètres. Ce déplacement est insignifiant; et comme il ne se produira qu'avec une extrême lenteur, en raison de la grande hauteur de la construction, on peut assurer d'avance qu'il passera inaperçu.

Pour se faire une idée des dimensions du monument projeté, il faut le comparer aux constructions que l'on signale habituellement comme les plus extraordinaires par leur élévation. Le tableau suivant met ces comparaisons en évidence.
Hauteur des monuments les plus élevés de l'Europe :

* Tours de Notre-Dame : 66 mètres.
* Panthéon : 79 mètres.
* Flèche des Invalides : 105 mètres.
* Saint-Pierre de Rome : 132 mètres.
* Cathédrale de Vienne : 138 mètres.
* Cathédrale de Strasbourg : 142 mètres.
* Grande Pyramide d'Égypte : 146 mètres.
* Cathédrale de Rouen : 150 mètres.
* Cathédrale de Cologne : 159 mètres.
* Tour de l'exposition : 300 mètres.

Ce qui veut dire qu'il faudrait cinq fois l'église et l flèche de Notre-Dame pour atteindre au sommet de la tour Eiffel. Quant à l'Arc de Triomphe de l'Étoile, ce pygmée pourrait se loger dans l'écartement des quatre montants qui forment sa base.

On redoutait que la tour Eiffel, par son énorme masse métallique, n'attirât fréquemment la foudre et ne fût un danger pour l'Exposition et les quartiers environnants. C'est le contraire qui est vrai; car, avec des conducteurs en nombre suffisant, aboutissant à la couche aquifère du sous-sol parisien, la tour du Champ de Mars constituera un énorme et excellent paratonnerre.

La Commission technique nommée par le Ministre du Commerce pour étudier les précautions à prendre afin de protéger la tour contre la foudre est arrivée aux conclusions suivantes :

Cette tour pourra jouer le rôle d'un immense paratonnerre protégeant un très large espace autour d'elle, à condition que sa masse métallique soit en communication parfaite avec la couche aquifère du sous-sol, par le moyen de conducteurs capables de débiter la quantité considérable de fluide électrique dont il y aura lieu d'assurer l'écoulement pendant les jours d'orage.

Grâce à ces précautions, l'intérieur de l'édifice, avec les les personnes qui s'y trouveront abritées, sera absolument assuré contre tout accident pouvant provenir des coups de foudre.

A quoi servira la tour Eiffel? A rien, disent bien des personnes, sinon à écraser, sous sa masse et sa hauteur, les constructions de l'Exposition du Champ de Mars.

A nos yeux, la véritable utilité de la tour de 300 mètres sera de prouver que la France est en état de se payer des constructions de 7 millions sans but, sans utilité, sans nécessité. Nos gouvernants, comme on le sait, aiment à jeter l'argent par les fenêtres. Cette fois ils veulent monter plus haut. C'est du haut d'une tour de 10O0 pieds qu'ils lanceront l'argent des contribuables. Cela s'appelle tennir très haut le drapeau de la dépense nationale!

L'ANNÉE SCIENTIFIQUE 1886.

PS :
La tour Eiffel, de nos jours est devenue, pour un étranger, un symbole inséparable de la France et du Français


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Paris / France