La restauration du magnétisme animal, ou l'hypnotisme.
Voilà cinq ou six ans que le public est entretenu de prétendus prodiges qui agitent les cerveaux faibles et mettent un véritable désarroi dans les âmes timides et les esprits ignorants. Sous le nom d'hypnotisme, on a ressuscité, depuis quelque temps, le magnétisme animal, que l'on croyait bien et dûment enterré, sans d'ailleurs y rien changer, ni rien y ajouter. On va chercher à Charenton et à la Salpêtrière des folles, des épileptiques et des hystériques, et on les soumet aux procédés divers qui ont le privilège de faire naître, chez les personnes névrosiques et malades, les effets de catalepsie, d'insensibilité physique et de contracture des membres, qui sont le propre de l'état de somnambulisme artificiel, plus communément désigné sous le nom de magnétisme animal; et avec ces effets singuliers, mais qui sont connus depuis le commencement de notre siècle, on émerveille les foules, on étonne le vulgaire, on confond l'ignorant.
Chose étrange! cette réhabilitation, cette résurrection inattendue du magnétisme animal, est due aux médecins, c'est-à-dire à ceux-là mêmes qui pendant soixante années ont combattu, nié, persécuté, vilipendé le magnétisme animal. L'Académie de Médecine et l'Académie des Sciences, qui se sont toujours montrées si hostiles, et, disons-le, si injustes et si partiales, contre le magnétisme animal et ses adeptes, accueillent aujourd'hui sans sourciller les plus étranges communications qui leur sont adressées par des médecins, qui s'efforcent de se surpasser les uns les autres dans l'énoncé des effets extraordinaires qu'ils prétendent produire sur les personnes dociles à leurs manoeuvres.
C'est à un médecin, à un membre de l'Institut, de l'Académie de Médecine et de la Faculté, au professeur Charcot, qu'est due l'origine de ce mouvement étrange, qui trouble et déconcerte l'esprit public. C'est le professeur Charcot qui, opérant sur les folles et les hystériques de son hôpital de la Salpêtrière, a le premier, sous le nom d'hypnotisme, emprunté au médecin écossais Braid, remis au jour les vieilles pratiques des magnétiseurs, et refait, avec des folles et des névrosiques, ce que les anciens magnétiseurs, les Deleuze, les Puységur, les Du-potet et, plus récemment, Braid, Azam, Philips, Lafontaine, etc., faisaient avec leurs sujets ordinaires. M. Charcot remplace par un coup de tamtam, par un éclat de lumière ou par un coup de sifflet le baquet de Mesmer, l'arbre de Puységur, le miroir magique de Dupotet. A cela près, tout est pareil.
Parti de haut, l'exemple a été promptement suivi. A la suite de M. Charcot, une foule de médecins se sont mis à hypnotiser les hystériques à qui mieux mieux et à publier les plus abracadabrantes cocasseries. Déjà un certain nombre d'ouvrages, tous dus à la plume de médecins, nous initient aux merveilles de l'hypnotisme. Un professeur de la Faculté de médecine de Nancy, le docteur Bernheim, a, le premier, écrit ex professo un gros volume sur l'hypnotisme et, à sa suite, une douzaine de médecins ont publié des livres conçus dans le même esprit et racontant les mêmes histoires renversantes.
Seulement, remarquons-le bien, M. Charcot, le grand pontife de l'École, ne prononce jamais le nom de magnétisme animal. Il a refait toute la série des opérations classiques des magnétiseurs de notre siècle, et il n'a pas une seule fois voulu confesser l'origine réelle de ses travaux et rendre hommage et justice à ses prédécesseurs, les Mesmer, les Puységur, les Dupotet, les Philips, etc., ni reconnaître l'identité de l'hypnotisme avec le somnambulisme artificiel, c'est-à-dire le magnétisme animal.
M. Charcot ne nie pas formellement cette identité ; il n'en parle pas, il ne dit ni oui ni non. Comme les fondateurs d'écoles ou de systèmes, il se renferme dans un majestueux silence. A son imitation, les auteurs d'ouvrages sur l'hypnotisme se sont bien gardés de reconnaître qu'hypnotisme et magnétisme, hypnotiser et magnétiser, c'est tout un. On fait du magnétisme sans s'en douter, ou du moins sans l'avouer. Le magnétisme animal est un mot qui sent le charlatanisme, mais l'hypnotisme a une couleur scientifique : voilà pourquoi nos médecins renient le premier et exaltent le second !
Pour nous, qui avons l'habitude de parler net, de nommer les choses par leur nom et d'appeler « un chat, un chat » nous nous permettrons de dire aux fauteurs de l'hypnotisme qu'ils ne font que ressusciter et remettre en lumière des phénomènes archiconnus, lesquels seulement ont été niés obstinément pendant une longue suite d'années, et qui reprennent, par la force naturelle des choses, la place qu'ils auraient conquise il y a longtemps, si une opposition aveugle et systématique, de la part des médecins et des académies, n'avait arrété leur manifestation au commencement et au milieu de notre siècle.
Que nous présentent, en effet, les individus hypnotisés ? La catalepsie ? Il n'est pas de magnétiseur qui ne la produise à volonté sur son sujet. —L'insensibilité physique? la faculté de se laisser piquer, pincer, blesser, sans ressentir de souffrance ? C'est là l'opération la plus vulgaire, la plus banale des magnétiseurs, dans les salons comme à la foire, dans les conférences comme sur la voie publique. —L'obéissance à la volonté, aux ordres donnés, c'est-à-dire l'influence sur l'être humain d'un autre individu? en d'autres termes, la suggestion mentale ? Il y a d'excellents ouvrages écrits par les magnétiseurs sur ce genre d'influence. Citons, entre autres, le traité du docteur Philips, l'Électrobiologie (1845), qui nous initie aux influences prodigieuses que ce magnétiseur exerçait sur les sujets soumis à son simple regard. — La pénétration de la pensée? Si ce dernier effet, qui tient à la suggestion mentale, est vraiment réalisé chez quelques malades par des médecins ayant le privilège d'exercer une influence morale puissante, on trouverait
dans l'histoire du magnétisme animal un grand nombre d'effets semblables. — La rubéfaction de l'épiderme, la vésication produite à volonté sur le corps d'un hystérique ?
Nous demandons à voir ce prodige pour y croire. Du reste, on trouve dans le Journal du magnétisme animal de Dupotet, de 1860, qu'un magnétiseur, nommé Préjalmini, aurait obtenu sur une somnambule une vésication, en appliquant sur la peau saine un morceau de papier sur lequel il avait écrit l'ordonnance d'un vésicatoire.
Il y a donc, selon nous, identité, complète entre le magnétisme animal et l'hypnotisme. Les médecins qui font tant de bruit de leurs prétendues découvertes dans cet ordre de faits, enfoncent des portes ouvertes, et, comme Alexandre Dumas, découvrent la Méditerranée.
C'est imbu de cette pensée, et par suite de ces considérations, que dans cet Annuaire nous n'avons jamais fait mention jusqu'ici des publications relatives à l'hypnotisme, ni des communications adressées sur ce sujet aux sociétés savantes et aux académies.
Nous rompons pourtant le silence cette année, et cela par une raison majeure. Les médecins qui s'occupent d'hypnotisme en sont arrivés, de prodige en prodige, à énoncer des faits qui, s'ils étaient réels, c'est-à-dire s'ils ne trouvaient pas une explication simple, bouleverseraient toute notion physique et morale. On a entendu, en 1886, des médecins venir soutenir sérieusement que non seulement ils exercent sur leurs malades une influence mentale sans bornes, une suggestion intellectuelle absolue, mais qu'ils ont la puissance de déterminer l'action des médicaments à distance du malade, et sans contact avec celui-ci. Ils auraient pu obtenir tous les effets propres à certaines drogues actives sans les administrer, en les approchant tout simplement des patients. Bien que ces drogues fussent renfermées dans des flacons bien bouchés, ne dégageant aucune odeur, ou enveloppées, l'action ne se produisait pas moins.
Par exemple, un individu très impressionnable, X..., ressentait une atroce douleur de brûlure lorsqu'on touchait sa peau avec un objet en or il éprouvait de la douleur à travers la main fermée de l'expérimentateur ou à travers les vêtements. Si on glissait dans son lit, sans qu'il s'en aperçut, une pièce d'or, X... se tournait vivement. En tenant à 10, 15 centimètres de distance un objet en or en dehors de son regard et de son attention, il ressentait comme un charbon ardent. Une bague produisait sur son poignet une vraie brûlure, avec plaie. Le mercure d'un thermomètre agissait comme l'or à travers son enveloppe en verre, et même à travers l'étoffe dont l'instrument était entièrement recouvert : une brûlure se produisit au point de contact, avec soulèvement de l'épiderme, suivi d'une plaie.
Les sels de mercure et d'or agissaient de la même manière.
Une éprouvette remplie de gaz hydrogène fut mise en contact avec la main de X, puis, un jet de ce gaz ayant été dirigé sur le bras et sur la nuque, des mouvements rythmés se produisirent, avec un rire spasmodique.
Un cristal d'iodure de potassium, enveloppé de papier, ayant été appliqué sur l'avant-bras, occasionna des bâillements et des éternuements.
Ces faits, si extraordinaires et si incroyables, sont relatés par MM. Bourru et Burot, professeurs à l'École de Médecine de Rochefort.
Mais ce n'est pas tout.
Un morceau d'opium brut, enveloppé de papier et placé sur la tête du même sujet, l'endormit en moins d'une
minute. On eut beau l'appeler, le secouer, lui ouvrir les yeux, le toucher avec de l'or, rien n'y fit : il ne sentait rien. Le réveil eut lieu spontanément, au bout de dix minutes.
Les alcaloïdes de l'opium agissent d'une façon presque anolague.
Le chloral, renfermé dans du papier, donne, en moins d'une minute, un sommeil, avec ronflement, par son application sur le bras.
Un flacon de digitaline, présenté à la plante du pied, amène des efforts de vomissement, des crachements, le pouls est faible, la respiration entrecoupée.
Le sulfate de quinine, la caféine, appliqués directetement sur le front ou sur le bras, agissent promptement.
Un paquet de feuilles de jaborandi est glissé, le soir, sous l'oreiller du malade couché ; une minute suffit pour l'endormir. Trois minutes après, le réveil a lieu, la salive coule de la bouche, la peau est humide; une cigarette placée entre les lèvres du sujet lui fait annoncer un goût sucré.
Ces faits furent niés par les uns, et expliqués par les autres, qui regardaient X..., le sujet de MM. Burot et Bourru, comme un habile simulateur.
Un professeur de physique prépara deux paquets, sans déclarer ce qu'ils contenaient. Le premier fit dormir, avec bâillements et nausées au réveil il contenait de l'opium. Le second produisit une brûlure intolérable : c'était un sel de mercure.
Une femme M..., atteinte d'hystérie et très sensible à l'hypnotisme, fut soumise aux mêmes expériences et donna les mêmes résultats.
Un jour, au jardin botanique de l'École de Rochefort, on met dans la main de X... quelques feuilles et fleurs de valériane, enveloppées de papier. Celui-ci s'endort tranquillement; mais bientôt il se lève, les yeux ouverts et la tête baissée, il marche en cercle à gauche et renifle fortement, se jette à terre, gratte, fait un trou avec ses ongles, enfonce son visage dans le trou, se relève brusquement, trépigne, reprend son mouvement de manège, refait un nouveau trou, y enfonce le nez en renifiant. Cette scène d'imitation du chat a duré plus d'un quart d'heure et, par sa violence, a fort embarrassé l'expérimentateur.
La femme M... donna le même spectacle.
Une fois, on applique sur le bras de X... une graine de noix vomique, renfermée dans du papier. Une douleur atroce fit faire un bond au sujet, lequel poussa un grand cri et se mit à déchirer sa peau à l'endroit du contact. Cette noix, égarée dans la chambre du malade, fut ramassée le soir par lui, comme étant un petit caillou. Aussitôt il pousse le même cri; sa main se contracture, et on ne parvient à lui arracher la graine qu'à grand'peine.
La femme M... était également très sensible à l'action de la noix vomique. Elle offrit un spectacle curieux par l'application qu'on lui fit d'un flacon contenant de la teinture alcoolique de cantharides.
Une scène analogue eut lieu avec le même flacon présenté à X....
D'autres expériences furent faites en présence de plusieurs médecins.
Sur la femme M..., l'eau de laurier-cerise produisit
une extase religieuse prolongée, avec vision, suivie de
convulsions. L'essence de mirbane, dont l'odeur est la
même, ne produisit pas cet effet. D'autre part, une solution faible d'acide prussique ou de cyanure de potassium amena des convulsions. Toutes les essences, les éthers, ont produit des hallucinations variées. L'essence d'absinthe a occasionné une épilepsie spinale caractérisée. L'alcool éthylique donnait une ivresse gaie; l'alcool amylique. une ivresse furieuse ; l'aldéhyde, une ivresse sombre; une bouteille de champagne, une scène pleine d'entrain, avec danses, chants joyeux.
Le valérianate d'ammoniaque, en solution diluée, arrête instantanément les attaques convulsives les plus violentes. Le camphre fait disparaître les contractures.
Un flacon de chloral bouché, placé dans la main d'une hystérique simple, détermine un sommeil invincible.
Plusieurs hystériques ont présenté l'ivresse alcoolique avec titubation, vomissements et le reste.
A Toulon, un jeune matelot, qui était aisément hypnotisé par un médecin de la marine, ne ressentait les effet des médicaments que pendant son sommeil.
Dans la même ville, une femme hypnotisable était insensible à l'action des médicaments ; mais, dans son état de somnambulisme, elle obéit à la suggestion qui lui fut faite de chanter, de faire de la musique, etc.
Une solution de morphine, renfermée dans un flacon, étant mise dans la main du sujet ; après un agacement assez court, la demoiselle se renverse, endormie ; elle éprouve une hallucination, qui la fait retrouver au milieu de sa famille, etc. Un flacon d'alcool amène l'hallucination de bêtes effrayantes, que l'ammoniaque fait cesser.
Voilà, dans toutes leurs particularités, que nous n'avons aucunement dissimulées, les faits rapportés par les deux médecins de Rochefort. Nous ferons aux auteurs les objections suivantes.
1° Vous présentez à vos sujets des substances dont ils savent par avance les effets.
2° Les sujets apprennent des expérimentateurs eux-mêmes l'effet attendu, ceux-ci ne prenant pas la précaution de garder un silence qui dans ce cas serait indispensable.
3° Il suffit que vous ayez vous-même connaissance des effets à produire pour influencer mentalement, malgré vous, un sujet que vous dominez par les pratiques ordinaires de l'hypnotisme et de la suggestion. Les hystériques, on le sait, sont des chiens savants, des automates bien montés.
MM. Bourru et Burot nous disent qu'ils ne cherchent à donner aucune interprétation, à formuler aucune loi; ils admettent qu'il s'agit ici d'actions spéciales, d'ordre inconnu jusqu'à ce jour. Pour nous, nous ne voyons dans ces effets divers qu'un résultat de la volonté du magnétiseur s'exerçant sur un sujet habitué à l'obéissance passive. L'hypnotisé entend l'ordre qu'on lui intime, et il est forcé, par l'empire de la volonté du magnétiseur, d'obéir à un commandement exprimé à haute voix, et par conséquent parfaitement compris par lui.
Il est certain que, si de tels phénomènes étaient réels, un criminel ou un malfaiteur quelconque ne serait point responsable de ses actes ; avant de le condamner, il faudrait montrer qu'il n'a obéi à aucune influence étrangère, qu'il n'a pas été poussé par une suggestion émanée d'une personne voulant exercer une vengeance.. Il n'y aurait ni crimes ni criminels. On irait loin si on admettait de pareilles vues : l'ordre social en serait bouleversé. Il serait donc grand temps que le bon sens public fît justice de tant de billevesées, décorées du vain nom de recherches physiologiques et scientifiques.
Qu'un médecin hypnotisant demande à un sujet hypnotisé quel sera le cours de la Bourse du lendemain, et s'il devine juste, je croirai à sa clairvoyance.
Malheureusement, cette épreuve décisive n'a jamais réussi.
Nous prétendons, en conséquence, que les hypnotiseurs ne sont pas plus malins que les magnétiseurs, leurs ancêtres, et que les prétendus prodiges dont ils essayent de nous éblouir, ne sont que des plagiats scientifiques, abrités sous un nom grec.