Un conflit à lîle de Suvanaguay
Auteur : Dr Pierre Bailly-Salin
Cote numéro 1.
À Monsieur le Président de la Commission Coloniale.
de la Couronne Royale Néerlandaise.
Direction des Affaires Civiles.
Section des Indes Néerlandaises.
La Haye.
Le gouverneur Civil de lîle de
Suvanaguay.
Indes Néerlandaises.
Monsieur le Président.
Plaise à Votre Éminence de bien vouloir porter sa bienveillance attention sur les divers incidents qui forment le corps de ce mémoire. Certes aucun dentre eux ne revêt de caractère dramatique, mais tous témoignent des difficultés que rencontre votre Serviteur et quil tient à porter à votre connaissance.
Je crois en effet de mon devoir de vous tenir informé de certaines difficultés que le Gouverneur Civil que je suis rencontre depuis quelque temps dans ses rapports avec Monsieur le Gouverneur Militaire de cette île.
Le Gouverneur Militaire éprouve manifestement des difficultés à comprendre et à admettre que les pouvoirs dautorité du Gouverneur Civil ont priorité sur les siens, quel que soit le respect qui leur est dû et leur importance.
Permettez - moi de donner quelques exemples illustrant ces manières de faire.
Le Gouverneur Militaire prétend que les couleurs nationales doivent être amenées par lui et à 18 heures. Que ce devoir lui incombe, je nen disconviens pas. Mais une certaine souplesse dans les horaires pourrait être envisagée pour ne pas interrompre une autre activité en cours.
Ainsi je menais récemment une négociation délicate avec le Délégué de la Communauté Insulaire : le Gouverneur Militaire exigea que le drapeau soit amené et mon interlocuteur indigène en profita pour séclipser, ne me permettant pas de conclure la discussion importante que nous avions entamé.
Les habitants de notre île sont assez habiles pour exploiter toute trace de divergence entre les représentants de lAutorité Coloniale sans que lon leur fournisse des opportunités de les exploiter.
Il se trouve que jestime que nous devons navoir comme interlocuteurs que les chefs coutumiers et eux - seuls - quelque soient leur éventuelle insuffisance. Telle est, en tout cas, ma politique et jai la faiblesse de la croire raisonnable.
Or le Gouverneur militaire mène des actions spécifiques vis-à-vis de la jeunesse et particulièrement de la jeunesse masculine. Il multiplie les fêtes à caractère sportif ; que ce soit natation ou athlétisme tout est prétexte à compétitions et à remises de distinctions que le gouverneur militaire est - notons le - seul à vouloir décerner.
Loin de moi la pensée de sous - estimer la valeur formatrice de la culture physique. Mais nest - ce pas compromettre notre prestige en sépoumonant à faire marcher en rangs des garçons dont on peut voir quils en rient entre eux et voir le spectacle du Gouverneur Militaire gesticulant, suant et soufflant pour animer ces parades porte plus à lironie quà la considération respectueuse.
Mais surtout du point de vue politique nest - ce pas inciter les jeunes à trop dautonomie en leur accordant tant de marques dimportance et de considération ? À terme ce pourrait être - je souligne le conditionnel - le ferment dune réaction contre notre autorité, actuellement incontestée.
Certes il peut sembler que ce ne sont que de modestes détails, mais dans une île comme la nôtre, tout doit être soigneusement pesé pour éviter des effets collatéraux pervers.
De toute façon je pense que la prééminence du Pouvoir Civil que je représente mérite être affirmée ou réaffirmée hautement.
Cest dans cet espoir, Monsieur le Président de la Commission coloniale de la Couronne Royale, que je madresse à votre très haute et très bienveillante autorité pour mettre rapidement bon ordre à ce qui pourrait être, à la longue, cause de troubles ou de difficultés.
Je vous prie, Monsieur le Président de la Commission Coloniale de la Couronne Néerlandaise, de bien vouloir agréer lexpression de ma très haute et très respectueuse considération et lexpression de mon humble dévouement.
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Cote Numéro 2.
À Monsieur le Général.
Commandant en Chef des Troupes Coloniales.
Aux Indes Néerlandaises.
La Haye.
Le gouverneur militaire de lîle de
Suvanaguay.
Indes Néerlandaises.
Monsieur le Général.
En tant que Gouverneur Militaire de lîle de Suvanaguay, je me dois dattirer votre attention sur les problèmes que je rencontre dans lexercice de mes fonctions du fait du comportement de Monsieur le Gouverneur Civil.
Il est normal et je ne le conteste pas que ce dernier soit concerné au premier chef dans les contacts avec les représentants de lîle. Je crains cependant quil naccorde un poids exagéré à des discussions interminables où ses interlocuteurs, des vieux du pays, occupent agréablement leurs loisirs sans avoir moindrement idée de mettre en pratique ce qui leur est proposé par le Gouverneur Civil.
Cest spécialement le cas du chef coutumier que Monsieur le Gouverneur Civil a élevé, de sa propre initiative au rang dinterlocuteur privilégié. En fait ce prétendu Chef Coutumier sest lui - même auto - proclamé à ce titre et jen ai eu les preuves, preuves habilement sollicitées par moi dans mes attributions de Chef de la Sécurité, par des contacts informels que jai établi avec des autochtones dignes de confiance.
Le sieur Ratisfandri - personnage respectable en apparence - navait jamais exercé une quelconque autorité avant notre arrivée dans la Colonie et certains sétonnent de voir la Couronne Néerlandaise accorder tant de poids à un tel individu, dénué dautre part de toute volonté novatrice.
Les interminables discussions que le GC a avec cet homme sont affligeantes par leur caractère stérile. cest tellement évident que certains insinuent même que les pouvoirs séducteurs de son épouse - la deuxième - ne seraient pas étrangers à la considération dont ce personnage est lobjet.
Il résulte de limportance donnée à ces palabres où se complaît le représentant du pouvoir civil une relative paralysie des activités de lîle, du moins dans la partie qui dépend de notre administration.
Certes cela nempêche pas les insulaires de vaquer tranquillement à leurs petites activités traditionnelles avec leur indolence habituelle. Mais rien nest fait pour mobiliser les énergies et apporter à cette île un dynamisme qui la mettrait en valeur
Il me semble que des actions - et non des parlotes - doivent être proposées à toutes les catégories de population sous notre contrôle et qui soient de nature à les intéresser.
Je porte aux activités sportives un intérêt soutenu. Cest le moyen datteindre les couches jeunes de la population et de leur inculquer des rudiments de vertus occidentales : lardeur devant leffort, le goût de vaincre et de se dépasser alors que leur indolence naturelle les pousserait plutôt à linactivité.
La jeunesse masculine répond dailleurs à mes attentes et vous comprendrez, jen suis sûr, ma déception devant lattitude septique et critique de Monsieur le Gouverneur Civil. N a - t - il pas été jusqu à évoquer les défilés de Nuremberg devant mes efforts pour faire marcher au pas les adolescents et les jeunes adultes les dimanches matins ! .
Si nous ne proposons pas des buts concrets et mobilisateurs à la population, nous devons craindre de voir celle - ci se détourner de nous. Loisiveté est la mère de tous les vices - dit - on ; elle est aussi le produit conjugué de la nonchalance indigène et des dons que la nature à comblé notre île ! Si nous ny remédions pas nous serons dévalorisés dans notre rôle éducatif. Jestime que lArmée est linstrument indispensable pour de telles actions de progrès et que ses actions en ces domaines doivent être considérées si ce nest comme prioritaires, du moins dune importance certaine.
Je tiens à mexcuser davoir retenu votre attention, Monsieur le Général, commandant des troupes coloniales et. Je vous prie de bien vouloir agréer, Monsieur le Général, lexpression de mes sentiments respectueux et hiérarchiques.
Le gouverneur Militaire de lÎle.
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Cote Numéro 3.
À Monsieur le Président de la Commission Coloniale.
de la Couronne Royale Néerlandaise.
Direction des Affaires Civiles.
Section des Indes Néerlandaises.
La Haye.
Le gouverneur Civil de lîle de
Suvanaguay.
Indes Néerlandaises.
Monsieur le Président,
Comme je le signalais dans ma précédente note, des divergences notables se sont fait jour entre les positions et projets de Monsieur le gouverneur Militaires et mes conceptions propres de notre rôle et de notre présence en cette île.
Jestime que notre premier devoir est de respecter lordre naturel et les coutumes et modes de vie anciens.
Cest dans cet esprit que je mappuie sur les hommes notables de lîle : ils sont lincarnation de ces valeurs. Ainsi jai constitué une sorte de petit conseil de lîle pour mentourer de ses avis, si besoin était.
Sachant que lattrait pour les titres est un levier puissant jai cru bon de conférer à ces personnages lappellation de Conseiller Insulaire et, ce faisant je nai pas eu le sentiment de contrevenir à la politique générale de votre Excellence.
Le calme le plus parfait règne en effet sur le territoire que vous mavez confié et je nai guère eu loccasion d exercer ms fonctions de négociateur ou darbitre entre les habitants.
Toutefois on a attiré mon attention sur la répartition de leau entre les riziculteurs. Je nai pas bien saisi les tenants et les aboutissants de ce conflit - si tant est quil y ait conflit. Il sagit de faire couler leau par rotation dans les différentes parcelles de terre qui sétagent en terrasses pour pouvoir planter le riz. Il doit donc exister un système de répartition, en temps et en volume, entre les usagers. Jai prévu une réunion générale dinformation la semaine prochaine.
Vous voyez à quoi doivent veiller vos collaborateurs et ce qui les occupe !
Mes préoccupations vont aussi aux agissements du Gouverneur Militaire, signalés dans mon précédent courrier.
Après avoir déployé son zèle - intempestif - sur les jeunes de lîle - les mâles seulement, grâce en soit rendue au Ciel - le voilà qui envisage une grande fête sportive devant la population rassemblée de lîle. Je nose penser aux possibles manifestations de tous ordres qui risquent de se donner libre cours à cette occasion.
Mais surtout il a décidé, seul et sans concertation, de présider les cérémonies et a eu le sans gène inouï - et linconscience - de me demander de débloquer des crédits pour des Prix devant récompenser les vainqueurs !
Je lui ai vertement répondu que javais le contrôle de toutes les dépenses, lesquelles devaient être approuvées par vos services. Il a ri et ma traité de pusillanime bureaucrate.
Je laisse à votre Excellence le soin de juger le comportement de cet individu dont les tendances hégémoniques saffirment de plus en plus nettement et jattends de vos services dêtre soutenu dans les restrictions que je me dois dimposer aux extravagances du GM dès lors que des crédits sont engagés.
Je suis navré de vous importuner avec de mesquines questions, mais je crois de mon devoir de rendre compte fidèlement de ce qui se passe dans lÎle dont jai sous votre haute Autorité, la responsabilité.
Je suis, Excellence, votre très dévoué et très respectueux serviteur.
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Cote Numéro 4.
À Monsieur le Général.
Commandant en Chef des Troupes Coloniales.
aux Indes Néerlandaises.
La Haye
Le gouverneur militaire de lîle de
Suvanaguay.
Indes Néerlandaises.
Mon Général,
Je suis au regret de vous importuner à nouveau dune part avec les menus incidents dont le gouverneur civil émaille la vie de cette île - ce qui ne serait rien - mais aussi des orientations quil entend donner à la politique générale concernant la population.
Le Gouverneur Civil a donné une certaine consistance au petit groupe de notables ou soi disant tels quil a élus autour de lui et il les a affublés du titre de Conseillers Insulaires. On se demande dailleurs sur quels textes réglementaires il assoit une telle initiative.
Mes avis de prudence nont, hélas, pas été entendus et voir cette noble assemblée assise en cercle à lombre dun cocotier discutant mollement dont ne sait quoi ne serait que ridicule si le GC navait imaginé rien de mieux que de présider ces palabres assis dans un fauteuil doù il dirige les débats.
Voudrait - il imiter ainsi notre vénéré couple royal - Dieu les bénisse - et les coutumes démocratiques de notre cher pays, ou imiter le Roi Franc Saint Louis qui rendait la justice sous un chêne. Ce faisant il ne fait que les singer minablement. Cen serait risible si ce nétait pas la marque dun état desprit et dun manque total dauto - critique !
Mais il y a plus grave : jai oui - dire - car ici tout se sait - que ce Parlement croupion allait se saisir du dossier de la répartition de leau pour la prochaine campagne de riziculture.
Or il sagit là dun épineux problème, crucial pour les récoltes des indigènes. Le code de répartition a été élaboré au fil des ans - ce quils nomment ici la Coutume - et y toucher moindrement serait ouvrir la boite de pandore sans aucun bénéfice pour la Couronne Hollandaise. Cela peut finir mal, très mal et il ny aura que des mécontents... Certains auront leau trop tôt, dautres trop tard et la pomme de discorde aura été amenée par nos soins et nous en serons tenus responsables ! Qui sème le vent...
Je men suis ouvert très directement au GC, mais il na voulu entendre aucun de mes arguments, techniques ou politiques, arguant que cela ne rentrait pas dans les attributions dun gouverneur Militaire.
Je nose, après le sérieux dun tel sujet, vous entretenir du refus quil a opposé à ma demande des modestes crédits prévus pour récompenser les vainqueurs des prochains Grands Jeux Sportifs de lÎle de Suvanaguay. Être vainqueur pour des esprits simples comme ceux de nos indigènes implique une marque ostensible de considération. Je navais pas prévu, on sen doute, de médailles dor ou dargent mais des cadeaux adaptés à nos populations.
Le Gouverneur Civil compromet ainsi, volontairement jen ai peur, le succès de ces jeux qui pourraient ternir sa soif de pouvoir et de considération ! On croit rêver !
Je dois ici confier que son mauvais ange en cette histoire paraît bien être la femme (deuxième épouse) du pseudo chef coutumier qui, elle, na pas de garçon en âge de concourir.
Les habitants qui sont malins et fort aptes à découvrir les motifs cachés dune décision en font des gorges chaudes. Mon collègue a poussé laudace à introduire dans son pseudo conseil de l'île cette deuxième épouse du so call chef coutumier : il y a là une confusion des rôles et cela alimente les ragots du territoire sur les relations quil entretiendrait avec cette femme.
Je reste votre très fidèle officier et vous prie de bien vouloir agréer, Mon Général ,l expression de ma très haute considération.
Le Gouverneur Militaire
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Cote numéro 5.
À Monsieur le Général.
Commandant en Chef des Troupes Coloniales.
aux Indes Néerlandaises.
La Haye
Le gouverneur militaire de lîle de
Suvanaguay.
Indes Néerlandaises.
Au risque de vous importuner, vous - même, mon Général et vos services, je suis au regret de continuer à devoir vous signaler les agissements du GC y compris, hélas, ceux qui s exercent à mon encontre, cest-à-dire par extension à légard de l ensemble du corps des officiers de Sa Majesté.
Jai véritablement honte de vous rapporter des incidents et des comportements indignes de figurer dans un rapport officiel de serviteurs de la Couronne.
Je dois dabord revenir sur les réunions du Comité Insulaire. Comme je lavais prévu - et il était facile de le faire - ces réunions n aboutissent à rien si ce nest à échauffer les esprits et à nous impliquer fâcheusement dans une affaire que joserai qualifier de guêpier.
Le Gouverneur Civil a manifestement sous estimé la complexité de la répartition de leau pendant la campagne rizicole. Entrent en effet en ligne de compte lâge du propriétaire, sa position dans la communauté et sa notoriété, la surface de son champ, la position de celui - ci par rapport aux terrasses sus et sous jacentes (élément déterminant daprès mes propres informations), la quantité deau stockée etc etc.
Cette répartition obéit dautre part à des rotations annuelles complexes pour obtenir une égalisation des apports deau en faisant varier les éléments de cette opération de répartition.
Toutes ces données - et jen ai sauté bon nombre - ne sont pas facilement assimilées par nos cervelles occidentales dautant que les divinités locales ont une influence quil est impossible dobjectiver et, a fortiori, de quantifier. Les rêves mêmes auraient une influence certaine : si un propriétaire rêve - ou affirme avoir rêvé - quil est servi en premier, cela peut jouer un rôle en sa faveur !
Il eut été infiniment plus sage et plus habile de laisser comme à laccoutumée, les îliens organiser à leur guise la distribution de leau et de ne nous y impliquer en aucune façon.
Je sais très bien que cest à moi, Gouverneur militaire quon aura recours en cas de difficultés et de troubles éventuels. Cest dire que je me mêle de ce qui me concernera et non pas de ce qui ne me regarde pas, comme ne se prive pas de le dire Monsieur le Gouverneur Civil.
Par ailleurs les relations du Gouverneur Civil et de la deuxième épouse du pseudo - chef coutumier continuent de plus belle. Les deux tourtereaux se lancent des regards enamourés tels Héloïse et Abélard. Ils ont même effectué une promenade vespérale sur le bord de la plage qui na pas échappé aux regards intéressés des gamins de lîle qui, assis sur leurs talons, nen perdaient pas une miette et se gaussaient à qui mieux - mieux.
Ce roman ridicule, pas même digne dun roman de Bernardin de Saint Pierre, nadoucit cependant pas les comportements du Gouverneur Civil.
Jai en effet noté que ce dernier ne perd pas une occasion de me rabaisser dans la considération qui mest due. Ce ne sont que phrases à sous entendus fielleux. Je cite.
Pendant que vous jouez dans leau (allusion à mes activités danimation sportive que je ne crains pas dappeler para militaire) je suis, moi plongé dans le très délicat problème de leau dans cette île !
Il sy ajoute de véritables mesquineries que jai honte à rapporter : ainsi les dossiers que je range soigneusement sur le bureau de service sont systématiquement déplacés et mis en désordre. Il en est de même avec des pièces essentielles de mon uniforme, telle ma casquette dofficier qui disparaît pour ne réapparaître quaprès une cérémonie où elle eut été indispensable à la bonne tenue réglementaire et à la pompe militaire.
Vous constatez ainsi que le climat se détériore sensiblement du fait des agissements de Monsieur le Gouverneur Civil.
Cest la raison pour laquelle je vous demande instamment de bien vouloir intervenir auprès de qui de droit pour ramener cet individu à une conception plus décente de son rôle.
Jai lhonneur de vous assurer de mon plus entier dévouement et lexpression d e ma très haute considération.
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Note Numéro 6.
À Monsieur le Président de la Commission Coloniale.
de la Couronne Royale Néerlandaise.
Direction des Affaires Civiles.
Section des Indes Néerlandaises.
La Haye.
Le gouverneur Civil de lîle de
Suvanaguay.
Indes Néerlandaises.
Monsieur le Président,
Cest à mon plus vif regret que j ai de nouveau et solennellement recours à votre Haute Autorité pour que vous fassiez cesser les provocations de tout ordre que Monsieur le Gouverneur Militaire exerce à mon égard.
Comme je vous lai signalé dans un précédent rapport je mène en ce moment une difficile négociation avec toutes les parties intéressées - cest-à-dire lensemble des habitants de lîle que vous avez confié à mes soins vigilants-concernant la répartition de leau pour lirrigation des rizières, problème dont je nai pas besoin de souligner limportance cruciale en ces contrées.
Le Gouverneur Militaire ne cesse de faire des gorges chaudes sur l initiative que j ai prise de traiter de cette question dont nous ne pouvions nous désintéresser sans abdiquer notre rôle tutélaire vis-à-vis de la population. Il me faut, moi, tenir compte des réalités économiques et agricoles de lîle !
Probablement influencé par lambiance enjouée que les habitants de lîle nont que trop tendance à adopter en toutes circonstances, le Gouverneur Militaire passe une bonne partie de ses journées à organiser des jeux divers qui, sous ce climat, se terminent tous dans leau du lagon et ce sont des éclaboussements sans fin dont notre Représentant ressort trempé dans une tenue qui ne convient guère à ses hautes fonctions.
Mais il y a plus grave :
Le Gouverneur Militaire semble ne pas se rendre compte que de mauvaises langues pourraient trouver à redire devant ces jeux qui entraînent des contacts corporels et pourraient cacher des intentions moins innocentes : jeux de mains - jeux de vilains.
Vos représentants se doivent dêtre irréprochables et de ne pas prêter le flanc à des insinuations concernant leur sexualité, si vous voyez ce que je veux dire.Enfin à ma grande confusion, je dois ajouter pour que vous - même, Monsieur le Président et vos services soient au courant de tout que le Gouverneur Militaire me joue des farces stupides comme de cacher mon rasoir ce qui nuit à la netteté de ma présentation ou de dissimuler mon stylo mempêchant ainsi de travailler au service de Sa Majesté;
Jattacherai la plus haute importance à ce que vos services et vous - même, Monsieur le Président interveniez pour mettre fin à cette situation préoccupante.
Dans cet espoir, je suis votre très humble et très fidèle serviteur.
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Cote numéro 7.
Note de service du bureau des Affaires Civiles.
À
Monsieur le Président des Affaires Civiles des Indes Néerlandaises.
Depuis quelques semaines, nous recevons des rapports de Monsieur le Gouverneur Civil de lÎle de Suvanaguay, rapports faisant état de difficultés relationnelles entre Monsieur le Gouverneur Militaire de lÎle et lui - même.
Nous ne sommes pas intervenus immédiatement pensant que ces frictions inhérentes à l isolement insulaire sapaiseraient delles - mêmes avec le temps.
Cependant les choses ne semblent pas sarranger ; au contraire et elles dépassent le cadre de banales difficultés de caractère.
Faisant état au début de minimes questions de préséance - heure du coucher des couleurs par exemple - le Gouverneur Civil en est à se plaindre des activités à caractère sportif du Gouverneur Militaire auprès de la jeunesse qui risquent, daprès lui, de déstabiliser la hiérarchie traditionnelle des îliens et de compromettre sa propre politique de rapports avec le chef coutumier.
Il estime que la dignité militaire s accommode mal des tenues légères que le GM revêt pour animer ses séances de sport.
On peut estimer que les craintes de notre Représentant sont exagérées : avoir loreille des diverses tranches dâge est au contraire de bonne politique comme il est dans les attributions du Gouverneur Civil d avoir loreille des notables indigènes et lon ne saurait le lui reprocher.
La question de la répartition de leau est délicate. Nous ne sommes pas sans savoir ici quil sagit dun problème épineux et d une technique longue dune vieille histoire. Le GC a - t - il eu raison de sen saisir, on peut en discuter, mais cétait de sa part courageux et peut être payant à long terme.
Tout cela reste au demeurant assez bénin, nétait la très classique et épineuse question de la préséance du Civil sur le Militaire et les querelles récurrentes y afférentes.
Nous en avons lhabitude.
Mais, in cauda venenum, le Gouverneur Civil en est à craindre que des accusations malveillantes de sexualité ne puissent être portées à lencontre de son collègue, le Gouverneur Militaire, ce qui serait éminemment fâcheux.
Dans le dernier rapport de notre Gouverneur Civil les doléances dérapent fâcheusement vers des mesquineries - dissimulation dobjets futiles - qui rendent compte de la nature tendue des rapports entre le pouvoir militaire. Le pouvoir militaire
Il semblerait quune consultation avec les services du Gouvernement Militaire de la Zone des Indes Néerlandaises serait de nature à une action conjointe visant à apaiser les esprits en évitant de placer laffaire sur le plan épineux de la suprématie dun pouvoir sur lautre.
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Cote numéro 8.
Note de service du bureau des Affaires Militaires.
À
Monsieur le Général Commandant Militaire des Indes Néerlandaises.
Depuis un certain temps, nous recevons des rapports de Monsieur le Gouverneur Militaire de lÎle de Suvanaguay, rapports ayant trait à des difficultés entre Monsieur le Gouverneur Civil et notre Gouverneur Militaire.
Nous ne sommes pas intervenus immédiatement pensant que ces frictions inhérentes à lisolement insulaire sapaiseraient d elles - mêmes avec le temps.
Cependant les choses ne semblent pas sarranger ; au contraire et elles semblent dépasser le cadre de banales difficultés de caractère.
Sur fond de très classiques questions de préséance - horaires du lever ou coucher des Couleurs - le Gouverneur Militaire met en cause la politique de collaboration avec un Comité Insulaire que le Gouverneur Civil aurait constitué autour de lui et sur sa seule initiative. Il insiste sur le ridicule que son collègue encourt en présidant ces séances assis sur une chaise à lombre des cocotiers.
Être en bons termes avec les personnages importants du territoire est un des impératifs de notre politique. Le Gouverneur Militaire semble craindre que la constitution dune assemblée locale ne soit de nature - à terme - à saper lautorité de la Couronne et que des velléités dautonomie ne soient ainsi favorisées.
Sans suivre notre représentant jusqu à ce point de vue extrême, peut - être serait - il bon de faire rappeler au Gouverneur Civil que tout transfert de compétence est du ressort des autorités supérieures.
Tout cela reste au demeurant assez bénin, nétait la très classique et épineuse question de la préséance du civil sur le militaire et les querelles récurrentes y afférentes.
Nous en avons lhabitude.
Notre Gouverneur Militaire ajoute, in cauda venenum, que le Gouverneur Civil aurait une aventure avec une des épouses du chef coutumier et il craint que cette ingérence de la vie privée ne soit mal vue en ces milieux insulaires.
Il accompagne cette accusation de détails triviaux sur le comportement du Gouverneur civil qui lui cacherait ses vêtements militaires.
Nous pensons ici quil conviendrait de prendre lattache avec les services civils pour apaiser les esprits en évitant de porter laffaire sur le plan de la suprématie réciproque des pouvoirs civils et militaires.
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Cote numéro 9.
Monsieur le Président de la Commission Coloniale.
Direction des Affaires Civiles.
Section des Indes Néerlandaises.
La Haye.
Jai bien reçu votre note concernant lÎle de Suvanaguay et pris connaissance de lensemble du dossier.
Ne laissons pas pourrir la situation : ces Messieurs sont capables daller très loin en campant sur leurs positions. Je connais les Militaires : ils sont peu enclins à céder et les Civils, de leur coté, sont habiles à utiliser toutes les ficelles de la réglementation.
Faites une note ferme à notre Gouverneur Civil pour quil assure sa position de Gouverneur Civil sans déborder sur les attributions du Gouverneur Militaire.
Recommandez lui d être prudent dans le maniement et lusage des assemblées locales, lesquelles ne sont pas explicitement prévues par les textes, ni prohibées dailleurs!
Enfin rappelez lui que nous attendons de lui un comportement exemplaire excluant toute intimité avec des insulaires pouvant être lobjet dinterprétation à connotation sexuelle, ce qui ne saurait être toléré dans sa situation.
Javoue être totalement décontenancé par cette curieuse histoire de rasoir ou de stylo : que quoi diable, notre subordonné voulait - il ainsi signifier ? Cela donne en tout cas la mesure du trouble relationnel qui semble régner dans cette île !
Jen parlerai à loccasion de vive voix avec mon collègue en charge des affaires militaires : scripta manent...
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Cote numéro 10.
Monsieur le Général.
Commandant en Chef des Troupes Coloniales.
aux Indes Néerlandaises.
La Haye
Bien reçu et traité votre note et j ai compulsé le dossier.
Rien à dire sur les activités sportives mise en uvre par notre homme. Sa tenue ne prête pas à remarque, au contraire : on ne fait pas de sport dans ces climats tropicaux en tenue dapparat.
Ses remarques sur le danger des assemblées locales et d ingérence dans des problèmes dépassant notre compétence - je pense à lirrigation - sont pleines de bon sens.
Par contre trop de familiarité avec les indigènes est peu recommandé notre Représentant na pas à se baigner avec les jeunes de lîle. Faites le lui savoir vertement.
Je nai pas aimé dautre part ses insinuations sur les conquêtes éventuelles du Gouverneur Civil. Le Gouverneur Militaire na pas vocation à sinstaurer le censeur des murs.
Rien compris à cette histoire de casquette perdue ou cachée ! Sils en sont là ils finiront par sétriper, jen ai peur !
Je traiterai laffaire - bien minime - avec le Président des Affaires Civiles de la Zone des Indes Néerlandaises mais oralement : verba volent...
Cher Président ! Je suis heureux de vous rencontrer à lissue du Grand Conseil de la Zone ! Avez - vous quelques instants à me consacrer ? Mes services mont entretenu dune affaire ridicule qui affecte les relations entre votre Gouverneur Civil et...
Jallais moi - même vous présenter la même requête ! Mon Cher Général. Jai eu moi aussi un dossier concernant une histoire de différents entre nos représentants ; voyons que je me souvienne : il sagissait de lÎle de Suvana quelque chose et le Gouverneur Civil sétonnait dactivités sportives ou je ne sais trop quoi de...
De mon coté, mon gaillard sinquiétait d une histoire de palabres concernant leau des rizières si je me souviens bien Cest très probablement de la même affaire dont nous avons été saisis par les deux parties.
Savez - vous le nom de votre subordonné, Cher Président ?
Javoue que je ny ai pas prêté attention ! Je vais me renseigner. Et vous mon Général ?
Aucune idée ! Je ne sais même pas si cétait dans la note de mes services mais je vais de ce pas men enquérir !
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Cote numéro 11.
Note du service du personnel de la direction des Affaires Civiles.
De la zone des Indes Néerlandaises.
Le gouverneur civil de lÎle de Suvanaguay est monsieur Van den Brick, né à La Haye le 6 février 1912, attaché de deuxième classe.
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Cote numéro 12.
Note du service des personnels des Forces Armées de la Zone des Indes Néerlandaises.
Le gouverneur Militaire de lÎle de Suvanaguay est monsieur Van den Brick, né à La Haye le 6 février 1912, attaché de deuxième classe.
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Cote numéro 13.
Le Médecin Principal de la Marine Van den Kisten. à Monsieur le Général en Chef. des Indes Néerlandaises.
Rapport de mission.
En mer
Monsieur le Général,
En exécution de votre ordre du 1er juillet, jai embarqué le 10 juillet dernier sur la frégate Reine Wilhelmine pour me rendre à lîle de Suvanaguay et examiner monsieur Van den Buick, investi dans lîle des fonctions de Gouverneur civil et militaire.
Au vu de mon uniforme lintéressé a dû croire que je voulais voir le Gouverneur Militaire et il sest en effet présenté comme tel. Il a exprimé son vif contentement de voir que les plaintes quil avait envoyé auprès du Général commandant les Forces Armées des Indes Néerlandaises portaient leurs fruits et il sest lancé dans un long et relativement confus exposé de ses griefs concernant le Gouverneur Civil.
Les choses se sont gâtées lorsque jai précisé que cétait Monsieur Van den Buick lui - même que je voulais voir en sa qualité de Gouverneur civil et militaire. Il a alors exigé avec véhémence de voir les ordres écrits dont je devais être muni et jai dû exhiber ceux - ci.
Le contact est devenu fuyant et il a fait quelques difficultés pour se soumettre à mon entretien et, à ma demande de me présenter ses papiers établissant sa qualité, il sest vivement excité prétendant que joutrepassais les ordres de ma mission.
Des éléments de la population indigène sétant attroupé autour de nous, jai alors exigé de nous rendre au siège du bâtiment du Gouverneur, un bien grand mot pour une méchante cabane en bois recouverte de palmes de cocotier et dont le seul agrément est une terrasse bien exposée.
La pièce principale était curieusement agencée et dénonçait delle - même le trouble de Monsieur Van den Buick. Derrière le bureau au lieu et place du siège habituel, il y avait deux chaises, lune où était posée une casquette militaire, lautre était occupée par un casque colonial. Devant chacun des sièges il y avait une pile de dossiers - bien rangés dois - je dire - séparés par un espace vide matérialisé par une règle.
À ma question sur cette curieuse organisation, Monsieur Van den Buick nous a expliqué que cétait ainsi que cohabitaient les deux fonctionnaires de Sa Majesté pour éviter tout problème relationnel.
Comme je lui faisais doucement remarquer quil ny avait quun seul fonctionnaire néerlandais en poste dans lîle, lintéressé se mit franchement en colère et ses dires devinrent des plus confus. En effet il sexprimait tantôt en tant que le Gouverneur Civil tantôt comme le Représentant Militaire, adoptant sans transition les dires, affirmations et accusations de lune ou de lautre partie.
Le désordre de son esprit était patent et pendant que mon équipe et moi - même réglions quelques détails avec les chefs coutumiers, il continuait son soliloque où s'exprimaient avec véhémence les reproches du civil vers le militaire et vice - versa.
La connotation sexuelle était fortement présente à la fin de cet étrange dialogue avec lui - même puisquil saccusait davoir séduit la femme dun chef et - contradictoirement - davoir été sensible aux charmes sexuels de certains jeunes indigènes.
Encadré par trois marins, il a été conduit à la frégate où il a reçu un calmant approprié ; sa nuit a été paisible et le lendemain jai évité toute question qui eut pu le remettre sur la piste de son délire.
Je ne suis pas spécialisé en psychiatrie et je ne sais si lon a le droit de parler de dédoublement de la personnalité ou sil sagit dune forme de psychose dissociative.
Je crois que lisolement où Monsieur Van den Buick sest trouvé confronté a dû jouer un rôle prépondérant dans sa divagation. Je dois signaler quun de nos matelots a spontanément fait état dune hypothèse denvoûtement, pratique fréquente, selon lui, dans ces contrées.
Je pense quun séjour en hôpital psychiatrique simpose au plus vite.
Jai lhonneur de vous présenter ce rapport avec lexpression ce mon entier et respectueux dévouement.
Le Médecin principal de la Marine Néerlandaise.
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Paris / France