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Fables et contes traduits de la
littérature arabe ancienne
par Fahd TOUMA
IBN-AL-MUQAFFA‘ (724-759,
VIII° Siècle).
(Du livre de Kalila Wa Dimna)
- 1-Le renard et le tambour.
C’est l’exemple de celui qui exalte une
chose mais, une fois qu’il l’a saisie et examinée,
il la dédaigne.
On raconte qu’un renard passait dans un bosquet où pendait
un tambour, accroché à un arbre. A chaque fois que
le vent soufflait dans les branches, celles-ci remuaient et venaient
frapper le tambour, et cela produisait un grand vacarme.
Attiré par ce grand bruit, le renard se dirigea vers le tambour
; arrivé près de lui, il le trouva gros et fut persuadé
qu’il contenait quantité de lard et de viande.
Il le manipula jusqu'à ce qu’il l’eût fendu,
et il s’aperçut qu’il était vide .
Alors il dit :
-« Cela me dépasse. Je me demande si les choses les
plus viles n’ont pas la sonorité la plus belle et l’ossature
la plus volumineuse ! » 
2-Le singe et le menuisier.
- Exemple de celui qui entreprend une action qu’il n’est
pas capable de mener à bien, car elle excède ses
moyens.
On raconte qu’un singe observa un menuisier fendre une planche
de bois à l’aide de chevilles ; et cela lui parut
intéressant.
Le menuisier partit pour régler quelque affaire.
Le singe se leva et entreprit une action qu’il ne maîtrisait
pas : il enfourcha la planche, le dos tourné à la
cheville et le museau pointé vers l’extrémité
de la planche. Inopportunément, sa queue se glissa dans
la fente ; il enleva la cheville et la fente se referma brusquement
sur sa queue ; la douleur fut si vive qu’il s’évanouit.
Puis le menuisier revint et trouvant qu’il avait pris sa
place, il se mit à le frapper sans s’arrêter.
Les coups reçus du menuisier furent encore plus terribles
que la douleur subie par sa queue, prise dans la fente de la planche.

3-La tortue et les deux canards.
- On raconte que deux canards et une tortue vivaient près
d’un étang où poussait une herbe abondante.
Les deux canards et la tortue étaient liés d’amitié
et d’affection.
Il advint que l’eau de l’étang tarit ; alors
les deux canards vinrent faire leurs adieux à la tortue
et lui dirent :
-« Reste en paix, amie ; nous quittons cet endroit car l’eau
commence à manquer ».
-« Le manque d’eau, leur dit la tortue, m’affecte
plus que toute autre créature, car je suis comme la barque
: je ne peux vivre que là où l’onde abonde.
Tandis que vous deux, vous pouvez survivre partout ; emmenez-moi
donc avec vous. »
Ils acceptèrent.
- « Comment ferez-vous pour me porter ? » demanda-t-elle.
- « Nous prendrons chacun le bout d’une branche, dirent-ils,
et tu te suspendras, avec ta bouche, par le milieu alors que nous
volerons avec toi dans les airs. Mais garde-toi, si tu entends
les gens parler, de prononcer un mot. »
Puis ils la portèrent et volèrent dans les airs.
- « C’est incroyable, dirent les gens lorsqu’ils
les virent,... Une tortue entre deux canards qui la portent. »
- « Ô gens de mauvaise foi, que Dieu vous fasse crever
les yeux ! » pensa la tortue, lorsqu’elle les entendit.
Mais dès qu’elle ouvrit la bouche pour parler, elle
tomba sur la terre ferme et creva. 
4-La tortue et les deux canards.
(Selon La Fontaine).
- Une tortue était, à la tête légère,
Qui, lasse de son trou, voulut voir le pays.
Volontiers on fait cas d’une terre étrangère
;
Volontiers gens boiteux haïssent le logis.
Deux canards, à qui la commère
Communiqua ce beau dessein,
Lui dirent qu’ils avaient de quoi la satisfaire.
« Voyez-vous ce large chemin ?
Nous vous voiturerons, par l’air, en Amérique :
Vous verrez mainte république,
Maint royaume, maint peuple : et vous profiterez
Des différentes moeurs que vous remarquerez.
Ulysse en fit autant. » On ne s’attendait guère
De voir Ulysse dans cette affaire.
La tortue écouta la proposition.
Marché fait, les oiseaux forgent une machine
Pour transporter la pèlerine.
Dans la gueule, en travers, on lui passe un bâton.
« Serrez bien, dirent-ils, gardez de lâcher prise.
»
Puis chaque canard prend ce bâton par un bout.
La tortue enlevée, on s’étonne partout
De voir aller en cette guise
L’animal lent et sa maison,
Justement au milieu de l’un et l’autre oison.
« Miracle ! criait-on : venez voir dans les nues
Passer la reine des tortues.
-La reine ! vraiment oui : je la suis en effet ;
Ne vous en moquez point. » Elle eût beaucoup mieux
fait
De passer son chemin sans dire aucune chose ;
Car, lâchant le bâton en desserrant les dents,
Elle tombe, elle crève aux pieds des regardants.
Son indiscrétion de sa perte fut cause.
Imprudence, babil, et sotte vanité,
Et vaine curiosité,
Ont ensemble étroit parentage.
Ce sont enfants tous d’un lignage. 
5-La cigogne et les poissons.
- Exemple du fourbe qui périt de sa fourberie.
On raconte qu’une cigogne nichait dans un bosquet, près
d’un étang très poissonneux où elle
pêchait pour sa subsistance. Elle y vécut longtemps,
mais vieillissant, elle n’arrivait plus à attraper
les poissons. Affamée et affaiblie, elle s’assit,
triste, cherchant un subterfuge pour continuer à subsister.
Un crabe vint à passer et, la voyant dans cet état
de tristesse et de morosité, s’approcha d’elle
et lui demanda :
-« Pourquoi, Ô cigogne, es-tu ainsi triste et déprimée
? ».
- « Comment ne pas m’affliger ? lui dit la cigogne,
j’arrivais à vivre en pêchant les poissons de
ce lieu, et voici que j’ai vu aujourd’hui deux pêcheurs
qui passaient par cet endroit, et l’un dit à l’autre
:
- « Il y a là du poisson en abondance ; commençons
par cet étang. »
-«Mais moi, dit son ami, j’ai vu dans un autre endroit
encore plus de poissons ; commençons plutôt là-bas
et, ayant fini, nous reviendrons ici et nous prendrons tous les
poissons qui s’y trouvent.»
-« Je sais, reprit la cigogne, qu’après avoir
fini de pêcher dans l’autre étang, ils reviendront
ici et ilsn prendront tout, alors ce sera ma mort certaine et
l’achèvement de ma vie » .
Le crabe alla de ce pas à l’assemblée des poissons
et leur raconta ce que lui avait confié la cigogne. Aussi
les poissons se dépêchèrent-ils auprès
de la cigogne pour prendre son avis ; ils dirent :
-« Nous sommes venus pour que tu nous conseilles, car le
sage ne dédaigne pas les recommandations de son ennemi
.»
-« Tenir tête aux pêcheurs, dit-elle, est une
tâche qui dépasse mon pouvoir ; et je ne vois d’autre
moyen que de nous réfugier dans un étang près
d’ici, dans lequel il y a quantité de poissons, d’eau
et d’osier ; si vous pouvez vous y transporter, vous vivrez
bien, à l’aise et dans l’opulence.» Les
poissons lui déclarèrent :
- « Et qui d’autre que toi pourrait nous rendre ce
service ? »
Alors pour ce faire, la cigogne prenait chaque jour deux poissons
qu’elle portait dans quelque colline et elle les mangeait...Mais
un jour, alors qu’elle venait prendre les deux poissons quotidiens,
le crabe vint à elle et lui dit :
- « Moi aussi, j’ai peur de cet endroit, transporte-moi
à l’autre étang, s’il te plaît.
»
- « Avec plaisir », lui dit la cigogne, et elle le
prit et s’envola.
Quand ils survolèrent la colline sur laquelle la cigogne
avait l’habitude de manger les poissons, le crabe regarda
et vit un grand tas d’arêtes ; il comprit que c’est
la cigogne qui les mangeait et qu’elle le mangerait bien,
lui aussi. Alors il pensa :
- « Si un être rencontre son ennemi à l’endroit
où il va être sacrifié, il ne peut que se
battre pour se défendre et ne pas abandonner. Peut-être
sauverait-il sa vie et son honneur par ce combat. »
Il fit alors plusieurs tentatives et put, à la fin, atteindre
son cou, qu’il prit entre ses puissantes pinces et le serra
si fortement que la cigogne étouffa.
Puis le crabe revint chez les poissons et leur raconta son aventure.

6-Les poissons et le cormoran.
(Selon La Fontaine).
- Il n’était point d’étang dans tout le
voisinage
Qu’un cormoran n’eût mis à contribution
:
Viviers et réservoirs lui payaient pension.
Sa cuisine allait bien : mais lorsque le long âge
Eut glacé le pauvre animal,
La même cuisine alla mal.
Tout cormoran se sert de pourvoyeur lui-même.
Le nôtre, un peu trop vieux pour voir au fond des eaux,
N’ayant ni filets ni réseaux,
Souffrait une disette extrême.
Que fit-il ? Le besoin, docteur en stratagème,
Lui fournit celui-ci. Sur le bord d’un étang
Cormoran vit une écrevisse.
« Ma commère, dit-il, allez tout à l’instant
Porter un avis important
A ce peuple : il faut qu’il périsse ;
Le maître de ce lieu, dans huit jours, pêchera. »
L’écrevisse, en hâte, s’en va
Conter le cas. Grande est l’émeute.
On court, on s’assemble, on députe
A l’oiseau : « Seigneur cormoran,
D’où vous vient cet avis ? Quel est votre garant ?
Etes-vous sûr de cette affaire ?
N’y savez-vous remède ? Et qu’est-il bon de faire
?
-Changer de lieu, dit-il. -Comment le ferons-nous ?
-N’en soyez point en soin : je vous porterai tous,
L’un après l’autre, en ma retraite.
Nul que Dieu seul et moi n’en connaît les chemins :
Il n’est demeure plus secrète.
Un vivier que Nature y creusa de ses mains,
Inconnu des traîtres humains,
Sauvera votre république. »
On le crut. Le peuple aquatique
L’un après l’autre fut porté
Sous ce rocher peu fréquenté.
Là, cormoran, le bon apôtre,
Les ayant mis en un endroit
Transparent, peu creux, fort étroit,
Vous les prenait sans peine, un jour l’un, un jour
l’autre ;
Il leur apprit à leurs dépens
Que l’on ne doit jamais avoir de confiance
En ceux qui sont mangeurs de gens.
Ils y perdirent peu, puisque l’humaine engeance
En aurait aussi bien croqué sa bonne part.
Qu’importe qui vous mange, homme ou loup
? toute panse
Me paraît une à cet égard :
Un jour plus tôt, un jour plus tard,
Ce n’est pas grande différence. 
- On raconte qu’un étang renfermait trois poissons
: l’un était sage, le second intelligent ; le troisième
était un crétin.
Cet étang se trouvait dans un lieu éloigné,
et rares étaient les gens qui le visitaient. Il était
relié à un ruisseau proche par un canal.
Il advint que deux pêcheurs suivaient le cours du ruisseau
et virent l’étang. Ils convinrent d’y revenir
ensemble, munis de leurs filets, afin de pêcher les poissons.
Ceux-ci entendirent leurs propos.
Le plus sensé se méfia et prit peur ; alors, sans
perdre de temps, au débouché du petit courant
qui descendait du ruisseau, il s’y engagea et remonta jusqu’au
ruisseau.
Cependant, le poisson intelligent était resté
sur place. Les pêcheurs vinrent ; à leur vue il
comprit leur dessein ; il voulut s’éloigner et gagna
le débouché du petit courant. Or les pêcheurs
avaient déjà bouché cette issue. Dépité,
il se dit :
- « J’ai trop tardé et voici la sanction de
mon inertie. Par quelle ruse vais-je me tirer de là ?
Mais si l’on recourt à la ruse avec précipitation
ou avec abattement, elle échoue. Le poisson sensé,
au contraire, se donne le temps de la réflexion, il ne
désespère pas de trouver une idée utile,
ne prend pas son sort au tragique, il reste lucide, et prêt
à l’effort. » Alors il fit le mort. Se tenant
près de la surface de l’eau, il se laissait flotter,
tantôt le ventre en l’air, tantôt le dos en
l’air. Les pêcheurs le prirent et le posèrent
sur le sol, entre l’étang et l’eau courante.
Alors il fit un grand bond, atteignit le ruisseau, et fut sauvé.
Quant au troisième poisson, il tenta par des allées
et des venues de se dégager, mais fut pris par les pêcheurs.

8-Des rats et des milans.
- On raconte que dans une certaine contrée, un marchand
décida d’aller en voyage pour son commerce et, possédant
cent livres de fer, il les confia à un homme de sa connaissance
; puis il partit.
A son retour, il réclama sa consigne, mais le dépositaire
lui affirma que les rats l’avaient mangée.
- « On raconte, en effet, répliqua le marchand,
que rien n’est plus acéré, pour ronger le
fer, que leurs incisives. »
Le dépositaire se réjouit de la crédulité
de son ami et se frotta les mains d’entendre cela.
Cependant, une fois dehors, le marchand rencontra un des enfants
du dépositaire, il se saisit de lui et le cacha dans
sa maison.
Le lendemain, le dépositaire vint s’enquérir
de son fils :
- « As-tu vu mon fils ? » demanda-t-il au marchand.
- « En te quittant hier, répondit le marchand,
j’ai vu un milan s’emparer d’un enfant ; ce pourrait
être le tien ! »
- « Ô bonnes gens, s’écria le dépositaire
en se frappant
la tête, avez-vous jamais vu ou entendu que les milans
ravissent des enfants ? »
- « Dans une contrée, dit le marchand, où
les rats mangent cent livres de fer, il n’est point étonnant
que les milans enlèvent même
des éléphants. »
- « C’est moi qui ai mangé ton fer, avoua
le dépositaire, et voici son prix ; alors rends-moi mon
fils. » 
9-Le dépositaire infidèle.
(Selon Jean De La Fontaine).
- (…) Voici le fait : Un trafiquant de Perse,
Chez son voisin, s’en allant en commerce,
Mit en dépôt un cent de fer, un jour.
« Mon fer ! dit-il, quand il fut de retour.
-Votre fer ? il n’est plus : j’ai regret de vous dire
Qu’un rat l’a mangé tout entier.
J’en ai grondé mes gens ; mais qu’y faire ?
un grenier
A toujours quelque trou. » Le trafiquant admire
Un tel prodige, et feint de le croire pourtant.
Au bout de quelques jours il détourne l’enfant
Du perfide voisin ; puis, à souper, convie
Le père, qui s’excuse, et lui dit en pleurant :
« Dispensez-moi, je vous supplie ;
Tous plaisirs, pour moi, sont perdus.
J’aimais un fils plus que ma vie :
Je n’ai que lui ; que dis-je ? hélas ! je ne l’ai
plus.
On me l’a dérobé : plaignez mon infortune.
»
Le marchand repartit : « Hier au soir, sur la brune,
Un chat-huant s’en vint votre fils enlever ;
Vers un vieux bâtiment, je le lui vis porter. »
Le père dit : « Comment voulez-vous que je croie
Qu’un hibou pût jamais emporter cette proie ?
Mon fils en un besoin eût pris le chat-huant.
-Je ne vous dirai point, reprit l’autre, comment :
Mais enfin je l’ai vu, vu de mes yeux, vous dis-je ;
Et ne vois rien qui vous oblige
D’en douter un moment après ce que je dis.
Faut-il que vous trouviez étrange
Que les chats-huants d’un pays
Où le quintal de fer par un seul rat se mange,
Enlèvent un garçon qui pèse un demi-cent
? »
L’autre vit où tendait cette feinte aventure :
Il rendit le fer au marchand,
Qui lui rendit sa géniture. (….) 
10- L’âne et le chien.
- Un homme partit en voyage accompagné de son chien
et de son âne, un jour de grande chaleur. Quand vint le
milieu de la journée, il s’arrêta pour se
reposer, puis il s’endormit. L’âne pénétra
dans un terrain cultivé et se mit à brouter.
Accroché au cou de l’âne, un panier contenait
de la nourriture. Le chien dit :
- « Ô toi, baisse un peu la tête afin que
je tire mon repas du panier, la faim me tiraille et je voudrais
manger. »
Mais l’âne refusa et lui dit :
- « Attends que ton maître se reveille, il te donnera
ta part. »
Le chien alla vers son maître et se blottit près
de lui, pendant que l’âne paissait çà
et là... jusq’à ce qu’un gros loup lui
apparût. Alors il appela le chien à son secours.
Le chien le rejoignit et dit :
- « Je ne consens pas à te protéger sans
une permission de mon maître, attends donc son réveil.
»
Cette réponse irrita l’âne. Le chien ajouta
:
- « Je ne te traite pas autrement que tu ne m’as
traité tout à l’heure. Si tu m’avais
rendu service je n’aurais pas hésité à
te venir
en secours par tous les moyens. »
Puis il le laissa. Alors le loup lui sauta dessus et lui déchiqueta
le ventre… Tel fut le prix de sa bêtise et de son
ignorance.
11- L’âne et le chien.
(Selon La Fontaine).
- Il se faut entr’aider ; c’est la loi de nature.
L’âne un jour s’en moqua,
Et ne sais comme il y manqua :
Car il est bonne créature.
Il allait par pays, accompagné du chien,
Gravement, sans songer à rien,
Tous deux suivis d’un commun maître.
Ce maître s’endormit. L’âne se mit à
paître :
Il était alors dans un pré
Dont l’herbe était fort à son gré.
Point de chardon pourtant ; il s’en passa pour l’heure
:
Il ne faut pas toujours être si délicat ;
Et, faute de servir ce plat,
Rarement un festin demeure.
Notre baudet s’en sut enfin
Passer pour cette fois. Le chien , mourant de faim,
Lui dit : « Cher compagnon, baisse-toi, je te prie :
Je prendrai mon dîné dans le panier au pain. »
Point de réponse, mot ; le roussin d’Arcadie
Craignit qu’en perdant un moment
Il ne perdît un coup de dent.
Il fit longtemps la sourde oreille :
Enfin il répondit : « Ami, je te conseille
D’attendre que ton maître ait fini son sommeil ;
Car il te donnera sans faute, à son réveil,
Ta portion accoutumée :
Il ne saurait tarder beaucoup. »
Sur ces entrefaites un loup
Sort du bois, et s’en vient : autre bête affamée.
L’âne appelle aussitôt le chien à son
secours.
Le chien ne bouge, et dit : « Ami, je te conseille
De fuir, en attendant que ton maître s’éveille
;
Il ne saurait tarder : détale vite, et cours.
Que si ce loup t’atteint, casse-lui la mâchoire :
On t’a ferré de neuf ; et, si tu veux m’en
croire,
Tu l’étendras tout plat. » Pendant ce beau
discours,
Seigneur loup étrangla le baudet sans remède.
Je conclus qu’il faut qu’on s’entr’aide.

12-Le dévot et la belette.
- On raconte qu’un homme pieux vivait retiré dans
la contrée de (uráân (Jourjan). Il avait
une belle épouse avec laquelle il vivait depuis longtemps
sans avoir eu d’enfant ; puis elle tomba enceinte à
un âge avancé. La femme fut très contente
ainsi que le dévot qui remercia le Créateur et
le supplia de lui accorder un garçon ; puis il dit :
- « Réjouis-toi, Ô femme, j’espère
que tu enfanteras un garçon qui nous apportera la prospérité
et la sérénité. Je vais lui trouver le
plus beau nom et lui choisir les meilleurs précepteurs.
»
- « Qu’est-ce qui te porte, dit la femme, à
parler de choses que tu ignores et qui adviendront peut-être,
ou pas ? »
Ensuite la femme enfanta un garçon sain et vigoureux,
à la plus grande joie du dévot, son époux.
Lorsque le temps de ses ablutions arriva, la femme dit :
-« Reste près de l’enfant ; je dois faire
mes ablutions au bain et je reviens. » Puis elle partit,
laissant l’enfant à la garde de son mari.
Mais voilà que l’émissaire du roi vint le
convoquer auprès du monarque ; il ne trouva, pour le
remplacer auprès de l’enfant, qu’une belette
qu’il avait élevée et bien dressée
et qu’il affectionnait autant qu’un fils ; il la laissa
près du nouveau-né, ferma la porte et partit avec
le messager.
Or voici qu’un serpent noir sortit de quelque coin de la
maison et s’approcha de l’enfant. La belette lui asséna
un coup, puis lui sauta dessus et le déchiqueta au point
que son museau était plein de sang.
Rentrant chez lui, le dévot ouvrit la porte ; la belette
vint lui apporter la bonne nouvelle et l’accueillir, toute
fière d’avoir tué le serpent. A la vue du
sang qui entachait la belette, une fureur aveugle fit perdre
la tête à l’homme qui imagina que l’animal
avait tué son fils. Pris par la rage et la colère,
et sans chercher à vérifier, il asséna
un grand coup de son bâton sur la tête de la belette
et la tua.
Une fois à l’intérieur de la maison, il vit
son enfant sain et sauf et, gisant près de lui, le serpent
noir déchiqueté. Lorsqu’il comprit
ce qui s’était passé et eut constaté
sa mauvaise action par sa précipitation, il se frappa
la tête et dit :
- « Cet enfant n’aurait pas dû naître,
je n’aurais pas commis ce crime. »
Sa femme rentra et, le trouvant prostré et triste, l’interrogea
:
- « Qu’as-tu, mon ami ? »
Il lui narra la bonne action dela belette et la mauvaise récompense
qu’il lui avait réservée ; sa femme lui dit
:
- « Voilà la sanction de ta précipitation,
car tu n’as pas pris le soin de vérifier le fond
des choses, et tu as agi avec empressement et irreflexion. »

13-Le lion, le renard et l’âne.
- On raconte qu’un lion vivait dans une forêt, et
auprès de lui subsistait un renard qui se nourrissait
de ses reliefs.
Il advint que le lion attrapa la gale, s’affaiblit et ne
put chasser ; le renard lui demanda :
-« Qu’as-tu, ô seigneur de tous les lions,
ton état a changé ? »
-« C’est cette gale qui m’épuise, répondit
le lion, et mon seul remède est : le cœur et les
oreilles d’un âne. »
-« Cela est très aisé, affirma le renard
; je connais un endroit où un âne travaille chez
un blanchisseur ; il est chargé de transporter les habits
; je te l’amènerai. »
De ce pas il alla voir l’âne, le salua et lui dit
:
-« Pourquoi es-tu si maigre ? »
-« Mon maître m’affame ; il me prive de nourriture.
»
-« Pourquoi, acceptes-tu de vivre avec lui dans ces conditions
? lui demanda le renard. »
-« Parce que, lui rétorqua l’âne, je
ne connais aucun subterfuge pour le fuir et je ne peux aller
nulle part sans qu’un humain ne me fasse suer et ne m’affame.
»
-« Je vais t’indiquer, reprit le renard, un endroit
à l’écart des gens où personne ne
passe, abondant en herbe et où paît, en toute quiétude,
un troupeau d’ânes sauvages si gras et si beaux que
nul oeil n’en a jamais vu.»
-« Qu’est-ce qui nous empêche d’y aller
? demanda l’âne ; conduis-nous vite là-bas.»
Le renard l’emmena vers la forêt puis, le devançant,
alla voir le lion et lui indiqua l’endroit où paissait
l’âne.
Le lion s’y rendit et là, il voulut sauter sur lui
; mais affaibli, il n’y réussit point et l’âne
se défit de lui et s’enfuit, très effrayé.
Lorsque le renard vit que le lion avait manqué sa proie,
il lui dit :
-« Ô maître des fauves, jusqu'à quel
point as-tu faibli ? »
-« Si tu le ramènes, reprit le lion, je ne le raterai
pas. »
Le renard retourna voir l’âne et lui dit :
-« Qu’as-tu fait ? Un des ânes sauvages, t’ayant
vu seul, est venu te saluer et te souhaiter la bienvenue. Si
tu n’avais pas fui, il t’aurait tenu compagnie et
t’aurait présenté à ses compagnons
! »
Comme l’âne n’avait jamais vu de lion, lorsqu’il
entendit cela, il le crut et se dirigea de nouveau vers la forêt.
Le renard le devança auprès du lion pour l’informer
de l’endroit où se trouvait l’âne et
lui dit :
- « Prépare-toi afin de ne point le rater. Je l’ai
trompé pour toi. Ne te laisse pas envahir par la faiblesse
car, s’il t’échappe cette fois, il ne reviendra
jamais, et les bonnes occasions sont rares. »
A l’incitation du renard, le lion reprit courage et se
dirigea vers l’âne. Lorsqu’il le vit, il se
jeta sur lui et le tua sur le coup.
-« Les médecins, dit-il au renard, m’ont interdit
de consommer si je ne me purifie avant.
Alors tu vas garder l’âne le temps que je me lave
et je reviendrai manger son cœur et ses oreilles. Et je
laisserai tout le reste pour toi. »
Lorsque le lion s’en fut à ses ablutions, le renard
s’approcha de l’âne et dévora son cœur
et ses oreilles espérant que le lion verrait ainsi un
mauvais présage et dédaignerait de le manger.
Ensuite le lion revint ; perplexe, il demanda au renard :
- « Mais où sont le cœur et les oreilles de
l’âne ? »
- « Sire, lui répondit le renard, si cet âne
avait un coeur pour ressentir et des oreilles pour entendre,
il ne serait pas revenu après t’avoir échappé
une première fois. » 
14-La hase et le lion
- On raconte qu’un lion vivait dans une contrée
fertile où abondaient les animaux, l’eau et l’herbe.
Mais ces animaux ne profitaient pas de cette abondance en raison
de leur épouvante du lion.
Alors ils se réunirent, vinrent le voir et lui dirent
:
- « Tu n’attrapes chaque bête qu’après
grande fatigue et épuisement, alors nous avons conçu
un plan qui te profitera et qui nous rassurera. Si tu nous accordes
un sauf-conduit et que tu ne nous effraies plus, nous te promettons,
chaque jour, une bête parmi nous que nous t’enverrons
pour ton déjeuner. »
Le lion accepta et conclut avec les animaux un pacte que les
deux parties respectèrent.
Le sort tomba un jour sur la hase qui fut désignée
comme déjeuner du lion. Elle dit alors à ses compagnons
:
- « Si vous me témoignez un peu de bienveillance,
sans que cela vous porte préjudice, je vous débarrasserai
du lion. »
- « Et que veux-tu nous confier comme tâche ? »,
demandèrent les animaux.
-« Vous ordonnez à celui qui m’accompagne,
dit-elle, qu’il me permette de prendre mon temps avant
d’arriver auprès du lion. »
-« Cela est accordé, lui dirent-ils. »
La hase prit son temps pour rejoindre le lion et dépassa
l’heure du déjeuner du roi des animaux. Puis elle
vint à lui, seule, à pas mesurés. Le lion
avait tellement faim qu’il entra dans une grande colère
; il se leva, se dirigea vers elle et, furieux, il cria :
-« D’où viens-tu ? »
-« Sire, dit-elle, je suis la messagère des animaux
auprès de toi ; ils m’ont envoyée, accompagnée
d’un lapin pour ton déjeuner, mais un lion m’a
suivie dans un chemin, m’a pris ce lapin de force et m’a
dit :
-« Ne suis-je pas le meilleur sur terre, parmi les animaux,
pour mériter ce repas ? »
-« Mais c’est le repas du roi, lui dis-je ; les animaux
le lui ont envoyé pour son déjeuner, et je te
supplie de ne pas me le prendre. »
« Alors il t’a injurié et traité de
tous les noms, et je suis venue en hâte t’en informer.
»
-« Viens avec moi, ordonna le lion, et montre-moi l’endroit.
»
La hase l’emmena vers un puits plein d’eau claire
et pure, s’y arrêta et lui dit :
-« C’est ici. »
Le lion regarda et vit dans l’eau son image et celle de
la hase près de lui ; ne doutant plus de la parole de
la hase, il sauta pour se battre avec l’autre lion et ainsi
se noya dans le puits.
La hase retourna vers ses compagnons et leur apprit ce qu’il
était advenu du lion. 
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