Un sacré héritage…

Nouvelle écrit par Dr Pierre BAILLY-SALIN
Juin 2004 - novembre 2005


Chapitre 2

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La première chose qu’il avait fait en se levant avait été de se traîner jusqu’à la fenêtre et en tirer le rideau défraîchi. Si la pluie ne tombait pas comme hier - les hallebardes sont de rigueur devant de telles intempéries - le ciel était uniformément gris, d’un gris épais et qui n’allait pas se lever facilement.

En se rasant, sa conscience se remit en route sur les réalités de son voyage : il se morigéna : il aurait pu se renseigner ou tenter de le faire sur ce qui pouvait bien pousser un tabellion de ce triste bled - pardon de cette honorable capitale provinciale - à le relancer avec insistance.

Peut - être aussi avait- il tenu à conserver un parfum de mystère à cette équipée en Hainaut. Le  Hainaut! il ignorait confusément la réalité qui se cachait sous ce vocable - Duché, Conté, ou autre -  et ne se formalisa pas de son inculture : il avait su   ajouter l’attrait de l’inconnu ce qui pouvait donner un piment d’  intérêt dans le désert qu’était sa vie quotidienne!

Qu’allait lui révéler l’homme de loi local ? La famille Bontemps, à  ce qu’il savait, avait perdu tout contact avec les Montois dont on ne parlait quasi jamais à la maison ; sa mère en accusait la guerre et l’occupation allemande sautant allègrement les années qui s’étaient écoulées après 1945 jusqu’à son décès et qui auraient largement suffi à une reprise des relations.

Le petit - déjeuner pris au lounge -   le lounge tu parles une salle rectangulaire, sans décoration avec un semblant de buffet où deux brocs de jus d’orange, une dizaine de yaourts colorés, une bien banale assiette de charcuteries et un panier de viennoiseries tentaient de faire illusion. Un journal - et un seul - était déposé sur une table à l’attention des lecteurs éventuels : un tabloïd un peu plus grand que nature ; l’attrait du papier imprimé était chez lui un corollaire de la reprise de contact avec la vie extérieure ; il s’en saisit donc et installé vers une vaste baie vitrée il parcourut très rapidement le “ Petit Montois “ : bonne typographie, présentation aérée de la première page : pas mal pour un si petit pays.

Sa réflexion le fit sourire en lui remémorant l’histoire de ce couple d’anglais - de vieux anglais se précisa- t- il pour lui - même - devant un coucher de soleil qu’avait admiré la femme et le mari avait alors renchéri”  Oui très impressionnant pour un si petit village ! “

Il consulta sa montre et se levant mit le journal dans sa poche estimant que cela compenserait la médiocrité de la chère. Se reprochant de ne pas l’avoir fait la veille - faute “ assez “ lourde, estima celui qu’il nommait le Ministre des transports de son Conseil des Ministres, il demanda à la réceptionniste un plan de la ville et s’enquit de l’adresse indiquée sur l’enveloppe du notaire.

 La jeune femme tourna et retourna le plan pour tenter de s’orienter ; l’incapacité de la gens féminine à se repérer sur une carte lui était connue et il ne s’en surprit pas. Après maints tâtonnements, la jeune femme entoura d’un trait de bic une zone proche de la Grand Place.

“ C’est à coté de la Grand Place ? “

Elle paru étonnée, presque choquée qu’il soit capable de situer celle - ci, surtout en regardant le plan à l’envers et lui demanda s’il était déjà venu à Mons. Sur la réponse négative, elle hocha sentencieusement la tête avant de lui faire signer la note du petit-déjeuner.

Il refit le trajet de la veille : la relative clémence du temps rendait plus avenant le décor qu’il avait trouvé sinistre et dans une rue aux belles façades - belles mais dont nombre étaient en assez piteux état. Ce n’était pas le cas de la maison du notaire : une demeure typiquement notariale, sentant à cent lieux sa qualité de vieille et estimable bourgeoisie.

Il obéit aux instructions de l’imposante plaque de cuivre et entra dans un couloir sombre où une jeune secrétaire lui demanda son identité avant de le faire pénétrer dans un salon classique qui devait servir de salle d’attente. Il en fit l’inventaire: à maints détails, on sentait que ce n’était pas le salon utilisé par la famille : les revues étaient fatiguées, à la limite de la mise à la corbeille à papier et le tapis - quelconque - montrait sa trame en plusieurs endroits. C’est toujours assez bon pour les clients ! On se croirait chez un médecin de quartier et Evariste se félicita de ses dons d’observation : à développer pensa- t- il !

L’inspection terminée il voulut éviter l’ennui de l’attente et palpant ses poches y sentit le journal “ emprunté “ à l’hôtel. Le titre en gras des deux colonnes de la une annonçait un crime dans le train Bruxelles - Mons de la veille. Les horaires correspondaient approximativement ; lui sembla- il, à ceux de celui qu’il avait pris et il se jeta sur l’article.

À ce moment, la porte dissimulée sous une tenture s’ouvrit sur un petit homme replet dont le costume comme les chaussures respiraient un goût très sûr et une propreté méticuleuse.

“ Monsieur Bontemps ? “

“ Lui - même.
 
“ Monsieur Évariste Bontemps.

“ Lui - même.

“ Je suis Maître Vonchelles. Vous êtes seul ? “

Questionna le notaire visiblement surpris.

“ Mais bien sûr! Par qui aurais- je dû être accompagné ? “

“ J’avais convoqué en même temps que vous Monsieur Deschiens, Monsieur Xavier Deschiens.

Ayant consulté du regard le cartel sur la cheminée, il enchaîna :

“ Si vous avez su être exact, lui a pu être retardé de son coté et je vous propose de l’attendre encore quelques instants. “

Évariste Bontemps s‘inclina légèrement et en profita pour signaler qu’il n’avait jamais entendu parler d’un Deschiens et du même coup de s’enquérir des motifs de cette “ convocation. “, Puis que convocation il y avait, semblait- il !

“ Cela me gêne de dévoiler les raisons, assez particulières, de cette réunion car une des clauses m’impose de recevoir les ayants - droits ensembles. N’y voyez aucune intention de méfiance à votre égard, bien entendu, mais comprenez- moi, je suis tenu par les textes qui vous seront dévoilés sous peu, je l’espère. “

La conversation se traîna entre des considérations désespérantes de banalité sur la ville de Mons, le temps de la saison, les difficultés ferroviaires qui introduisent au délicat problème de la Belgique tiraillée entre deux communautés...;

“ Sans parler de Bruxelles naturellement ! “

Le notaire consultait sa montre de gousset - dont il devait être assez fier - et manifestait une impatience contenue alors que son visiteur, amusé et intrigué par les préliminaires compliqués de l’entrevue, se montrait, lui, détendu.

“ Sans entrer dans le sujet lui - même nous pourrions commencer par quelques formalités, si vous en êtes d’accord, Cher Monsieur.

Sur l’approbation marquée par un signe de tête du visiteur, le notaire s’éclaircit la voix et sur un ton qui se voulait à la fois neutre, professionnelle et bienveillant, commença une sorte d’interrogatoire.

“ Vous êtes donc bien Monsieur Évariste Bontemps, né le 19 octobre 1965 à Paris 4e de Bontemps Michel et de Demulder Yvonne, son épouse. Leur union n’a eu qu’un enfant : vous - même ! Je passe si vous le voulez bien sur la généalogie de feu Monsieur  votre père décédé en 1978 à Cannes, Alpes-Maritimes et je vais être obligé de m’étendre sur celle de Madame votre mère. Sa mère Jeanne Demulder s’est mariée avec Monsieur Léon Demulder, ils étaient cousins issus de germain et demeuraient ici en notre ville de Mons où elle est décédée en 1943. Votre grand - mère avait trois filles : votre mère Yvonne née en 1930 et décédée en 1980.  Christine née en 1925 et décédée en 1970 à Paris XIV ème. Sans enfants, célibataire. “

“ Cette  tante-là je l’ai connu et elle venait parfois à la maison ; c’était une personne assez originale.”

“  Enfin Nicole, née en 1920, décédée en 1975, a eu une vie plus compliquée ou plus complexe si vous préférez, sur le plan notarial, bien entendu! Elle a été mariée deux fois, avec un enfant du premier lit et un fils du second. C’est au sujet de sa succession que je vous ai convoqué suivant les termes de la loi Belge, votre tante Nicole n’ayant jamais abandonné sa nationalité après son second mariage avec un de vos compatriotes.”

“ Je ne suis que le neveu et j’imagine que je ne dois pas être une partie prenante importante dans sa succession, puisque succession, il semble y avoir ! “

“ Vous l’êtes cependant comme nous allons le voir quand l’autre neveu de votre tante, monsieur Deschiens, sera présent. Vous êtes les seuls descendants que mes recherches - très poussées, croyez - moi – m’ont permis d’identifier avec certitude. “

Pour ça je te fais confiance, mon Bonhomme, pensa in peto Bontemps, un peu déçu par la réponse dilatoire. Voilà un homme qui ne tolère guère ce qui vient modifier ses plans. Cela va tout à fait avec la préciosité et la précision de son langage - comme avec la recherche et la perfection de son habillement. Une calvitie élégante qui pose son homme, un embonpoint léger et rassurant, des chaussures vernies, un pantalon à la raie impeccable. Si j’avais eu un casting à faire pour recruter un tabellion dans un film des années soixante, c’est, sans hésiter lui que j’aurai choisi. Je parie qu’il va effectuer quelques rangements sur son bureau ! Voilà qui est fait : les stylos réalignés, la loupe à sa place, les deux dossiers mis au carré ! Parfait j’avais vu juste... la psycho et moi! 

“ Pardon, excusez- moi j’ai été distrait une seconde ! “

“ Je vous demandais si Madame votre mère avait conservé des rapports avec ses sœurs et particulièrement sa sœur Nicole. »

“ À ma connaissance, non en ce qui concerne la tante Nicole ! Quand j’étais petit, on ne parlait jamais de la famille belge et je croyais que c’était le fait de la guerre et de l’occupation... “

“ Comment cela ? “

Interrogea le notaire qui avait réagi à cette information bien banale.

“ Je ne sais pas, mais il me semble que les communications avaient dû être difficiles à cette époque ; je crois même que ma mère faisait état de la guerre pour expliquer le manque de relation avec sa famille. »

“ Ce n’était plus vrai à partir de 1945.”

Il y avait dans le ton de cette remarque une intention sous jacente que Evariste Bontemps sentit nettement.

“ Voulez- vous dire qu’il y a eu d’autres événements qui ont joué ? Liés à la guerre peut - être ? “

“ Nous sommes en effet assez proche de l’objet même de notre réunion et je suis embarrassé pour vous répondre sans entrer dans les détails. Vous n’étiez pas né et ignorez bien des choses de cette époque - il consulta une note sur son bureau - Vous n’avez pas eu connaissance du nom du premier mari de votre tante ?”

“ Non j’ignorais même qu’elle avait été mariée ! “

“ Comme il s’agit d’un épisode que certains historiens belges de l’occupation allemande ont mentionné, je crois que je trahis pas ma mission : le mari de votre tante, un certain Deschiens avait- il chercha ses mots - une réputation sulfureuse et a été mêlé de très près à la collaboration - il toussota - dans ses aspects les moins respectables. Il a eu une fin tragique et fut exécuté peu avant la Libération dans des conditions qui n’ont jamais été éclaircies complètement. “

“ Je comprends mieux les raisons pour lesquelles ma mère n’a pas éprouvé le besoin de renouer et qu’elle ne parlait guère de ses ascendances Wallonnes.”
 
“ Monsieur Deschiens était Bruxellois.”

Précisa l’air pincé le notaire.

“ C’était vraiment un affreux collabo ? “

“ Pire, Cher Monsieur ! Membre du Parti Rexiste avant la guerre, il se mit au service  de la Gestapo pendant l’occupation. Sa fin tragique est restée mystérieuse et des bruits contradictoires ont couru : règlement de comptes ou action de la résistance ; en tout cas cela n’a pas été clair. “

“ Et le Deschiens que nous attendons puis - je savoir ce qu’il était par rapport à la tante Nicole comme ma mère l’appelait les rares fois où elle parlait d’elle. C’était “ Ta tante Nicole”  et en y réfléchissant c’était dit sur un ton à la limite du mépris.

“ Xavier Deschiens est le fils du frère du Deschiens, mari de votre tante... Le destin de cette famille a été tragique. Ils ont tous été massacrés en Afrique, au Congo que vous appelez Belge. Seul Xavier, étudiant à Liège, en réchappa. Ce qui fait que vous êtes les deux seuls, comme neveux germains, qui vont participer à l’ouverture d’un document que je ne peux vous dévoiler avant l’arrivée de l’autre “ ayant droit.
 
Bontemps hocha la tête, submergé par ces séries d’informations sur des personnages totalement inconnus de lui. Le notaire regarda une  nouvelle fois sa montre avec un agacement visible À ce moment une sonnerie retentit dans le bureau, le maître des lieux s’excusa d’un regard et prit le combiné : s’en suivit une série assez longue de “ Oui “ et de “ Oui, oui”  qui s’enchaînaient avec des nuances allant - autant qu’en pouvait juger Martin - de la banale approbation à la surprise, puis d’un sentiment plus fort et Evariste nota que le notaire lui avait jeté un coup d’œil à la dérobée.

“ Je reçois une bien surprenante information : Monsieur Deschiens, Monsieur Xavier Deschiens que nous attendions a été retrouvé assassiné dans le train qui le conduisait hier de Bruxelles à Mons. La police a retrouvé sur lui l’enveloppe de ma convocation et le commissaire m’annonce sa visite immédiate.

“ J’ai lu ce matin dans le journal local la nouvelle d’un crime dans un train et il se trouve que c’est justement celui que j’avais moi - même emprunté... “

“  Quelle coïncidence ! Cette disparition va sérieusement modifier mes plans de travail !”

Remarqua pensivement le notaire.

On lui fit part de l’arrivée du commissaire de police : ce dernier entra ou plutôt s’engouffra dans la pièce, salua le notaire et eut une inclinaison de la tête pour Évariste Bontemps.

“ Excusez mon irruption, mais l’affaire est d’importance! Vous reconnaissez cette enveloppe ? C’est elle qui nous a permis de vous contacter si rapidement. Maître Vonchelles, pouvez - vous me fournir des informations sur la victime, Monsieur Deschiens Xavier, sans déroger au secret professionnel, bien entendu “

“ J’ai effectivement convoqué à mon étude ce Monsieur Deschiens... Je devais procéder à une ouverture d’un testament en sa présence et en celle de Monsieur, Monsieur Evariste Bontemps, lui aussi neveu d’une autre branche. »

“ Vous ne connaissiez pas ce Monsieur Xavier Deschiens, physiquement j’entends ?

Sur la réponse négative, le commissaire posa la même question à Bontemps qui fit la même réponse.

“ J’ignorais l’existence même de ce Monsieur  avec lequel je n’ai aucun lien de parenté et   j’ignorais aussi les motifs du rendez-vous chez Maître Vongelles, mais je vous signale que j’ai pris le même train que ce malheureux à Bruxelles. »

“ Attendez ! Vous étiez dans le même train que la victime ! “

“ Comme je viens de vous le dire... “

Évariste ne pu s’empêcher de penser que, du fait de cette fâcheuse coïncidence, des ennuis n’allaient pas tarder à lui arriver ; en effet le commissaire mit un court moment à intégrer cette donnée nouvelle :

“ Il y avait très peu de voyageurs et peut - être avez- vous remarqué pendant le parcours quelque chose qui pourrait être utile à l’enquête ? “

Le premier mouvement, instinctif, de Bontemps fut de répondre par la négative et il lui fallut faire un effort sur lui-même pour décider de livrer la scène rapide qui avait émaillé son voyage. Il raconta donc le passage d’un individu traversant le wagon malgré les soubresauts du train et il se rappela la présence d’un homme apparu au fond de la voiture :

“ Je me suis même demandé s’il était venu de l’avant ou de l’arrière. “

Éprouva-t- il le besoin de préciser. Toujours mon désir de briller, se morigénera- t- il.

Le commissaire lui jeta un regard étonné, mais ne fit pas de commentaires et il se tourna vers son compatriote pour lui sous - tirer des renseignements sur l’affaire qui appelait Deschiens à Mons. Bontemps pensa que le policier connaissait mal son monde et de fait la réponse du notaire fut à la fois économique et évasive.

Ayant obtenu du notaire les coordonnées du défunt, le commissaire se leva et demanda à Evariste où il était descendu à Mons et le pria courtoisement de bien vouloir passer à son bureau dans l’après - midi.

“ Me voilà bien ennuyé, commenta le notaire après sa sortie. Vous étiez deux héritiers authentifiés par mes soins et ceux de l’Agence Bruxelloise de Recherches Généalogiques : apparemment vous êtes maintenant le seul habilité à entendre de ma bouche lecture du testament de votre tante... “


“ Mais la sœur de ma mère - j’arrive difficilement à l’appeler Tante Nicole - est morte depuis un certain temps - si ma mémoire est fidèle vers les années 1975 - et pourquoi est - ce   si tard que ce testament fait surface? “

“ Bonne question : ce testament, enregistré suivant la loi Belge par mon prédécesseur Maître Duthieul, a été rédigé en 1948, à une époque où votre tante pouvait légitimement se sentir inquiète au vu du parcours et de la personnalité  de son mari. Elle a déposé ce document - dont l’authenticité ne fait aucun doute, je le répète - dans un coffre de sa banque, en 1954. Elle était la seule autorisée à y faire des opérations. Elle n’y a d’ailleurs fait aucune visite. L’ouverture de ce coffre a eu lieu en 1994 car après 40 ans sans mouvements et, en cas de décès, la loi Belge permet, avec l’autorisation du tribunal et sous son autorité, d’ouvrir le coffre et d’en faire expertiser le contenu qui se résumait au testament. D’où cette convocation bien tardive à laquelle vous avez d’ailleurs vous - même tardé à répondre... “

“ Mais va- t- on pouvoir procéder à l’ouverture de ce testament, compte tenu des circonstances ? “

“ Si j’ai confirmation officielle du décès de Xavier Deschiens, rien ne s’y oppose, à mon avis du moins “

La sonnerie du téléphone retentit de nouveau dans le bureau et cela paraissait une incongruité, ou un anachronisme ; la conversation fut brève :

“ Effectivement la Police a toutes les données qui identifient Xavier    Deschiens, fils de Louis Deschiens, beau - frère de votre tante  et l’on peut considérer que son décès est notoire, comme nous disons en notre jargon. “

 Bontemps poussa un soupir de soulagement : il avait sérieusement envisagé que les choses soient repoussées à plus tard impliquant une nouvelle venue à Mons : une fois passons, même sous la pluie, mais deux fois c’ est excessif !

“ Bon, commença le notaire qui avait adopté un ton très professionnel, je dois vous demande vos papiers d’identité et votre fiche d’état civil dont je vous avais deman... “

“ Les voici, Maître.

Le notaire  avec une certaine solennité exhiba alors sous toutes ses faces  une enveloppe avec ses  cachets de cire : puis il rompit lesdits cachets et en sortit une longue enveloppe mauve, d’aspect très féminin. Évariste en fut curieusement ému alors qu’aucun lien ne le rapprochait de la “ tante Nicole”.

Le notaire l’ouvrit et compta les pages qui tombèrent sur le bureau : il y en avait deux, couvertes d’une belle écriture, autant que Bontemps put en juger. L’officier ministériel entreprit la lecture, d’un ton volontairement uniforme, pensa Evariste. Nicole Demulder débutait par un historique de sa famille puis de son mariage ; elle égratignait au passage ses sœurs qui ne l’avaient pas aidée en 1944 lors  de l’exécution de son mari.

La partie suivante déclencha chez le notaire un net ralentissement de la lecture, il y avait de quoi ! Nicole Deschiens révélait que ce que son mari  conscient de la tournure désastreuse des événements - en ce qui le concernait -  avait déposé  un paquet   à l’abri dans une Banque privée Luxembourgeoise sous un compte à numéro, avec la complicité d’un employé de ladite Banque.

Ce n’était qu’en 1947 que Nicole avait eu connaissance de ce dépôt ; elle ne disait pas comment mais se félicitait de la prudence avec laquelle elle avait agi pour récupérer le paquet laissé.

“  Je n’ai pas voulu être impliqué moindrement dans ces affaires sordides et je n’ai pas touché à ce maudit dépôt. “

  Elle faisait enfin une vague allusion aux pressions qui se seraient exercées sur elle du fait d’anciens amis de son mari, pour lesquels elle professait un solide mépris et une certaine crainte.

“ Les rapaces restent des rapaces et rôdent autour de moi et je ne veux pas que mes descendants en général souffrent du fait de mon premier mari. “ 

Elle avait placé ce qu’elle avait retiré de la banque luxembourgeoise dans une Banque française pour éviter, selon elle, l’éventuelle main - mise par les autorités belges, sans même vouloir connaître le contenu de ce volumineux paquet.

Le notaire précisa que les coordonnées de la Banque et le numéro du coffre était inscrit sur une feuille enfermée dans une autre enveloppe cachetée. La tante ajoutait :

“ Après ma mort, j’entends que les ayants - droits à ce testament, s’il en existe, se  partagent en parts égales ce butin maudit et j’espère qu’ils n’en essuieront pas d’ennuis ! “

“ Vous voilà sauf erreur peu probable des généalogistes seul héritier de ce dépôt : je ne sais si je dois vous en féliciter mais je souhaite comme votre tante mais pour des motifs différents de tout se passera bien. “ 

Le notaire remit alors l’enveloppe après avoir fait constater avec une certaine solennité à Évariste Bontemps que les cachets en étaient intacts. Ce dernier éprouvait quelque peine à enregistrer ce qui lui arrivait si soudainement.

 Il allait demander des éclaircissements quand le téléphone sonna à nouveau : le commissaire de Police se rappelait à son bon souvenir et priait Bontemps de passer au plus tôt. Le notaire se leva lui conseillant ainsi de ne pas différer son passage devant la police.

 Ils prirent rapidement rendez- vous pour le lendemain et Évariste traversa le secrétariat où une jeune fille un peu boulotte le regarda passer avec une certaine curiosité : il surprit ce regard sans plus y attacher importance ; il rectifia cependant sa coiffure d’un geste automatique.

Le commissaire avait préparé son arrivée : il le fit entrer directement dans son bureau et recommanda qu’on ne le dérange sous aucun prétexte.

“ Allons droit au fait : votre présence dans le train où fut assassiné Louis Deschiens, un train peu fréquenté, ne pouvait manquer de poser problème, même indépendamment des liens qui vous unissaient.

“ Des liens comme vous y allez, Monsieur le Commissaire : c’est d’une absence de liens au contraire qu’il faut parler ; je n’avais jamais entendu ce nom de Deschiens, j’ignorais sa parenté avec ma tante, tante que je n’ai jamais vue enfin j’ignorais le motif exact de la convocation de Maître Vonchelles.”

“ Certes mon entrée en matière était peut - être maladroite et je m’en excuse ; plus banalement auriez- vous remarqué durant votre voyage des événements même minimes qui pourraient avoir un intérêt pour notre enquête ? “

“Comme vous l’avez mentionné, il n’y avait presque personne dans le train et j’ai été seul la majeure partie du voyage. Je vous ai signalé l’unique fait bien banal de mon voyage : un individu a traversé le wagon... “

” Excusez- moi : il se dirigeait où ? Vers l’avant ou vers l’arrière ? “

“ Vers l’avant, j’en suis sûr. Peu après j’ai été aux toilettes et en revenant j’ai vu qu’un autre passager avait pris place à l’arrière. “

“ Vous étiez dans quel wagon, Cher Monsieur ? “

“  Je serai bien en peine de vous le préciser avec certitude, plutôt vers l’avant ou presque au milieu, du moins je le crois ! “

“ Vous avez employé le terme d’individu pour caractériser le passager qui a traversé votre compartiment, pourquoi avoir choisit ce qualificatif ? “

“ C’est curieux : vous me posez là la question que je me suis posé à moi - même : pourquoi avais- je pensé individu - ce qui fait très policier - Oh excusez - moi ! “

“ Non ! Non ne vous excusez pas : dans une enquête tout a de l’importance surtout au début de celle - ci ! Et alors quelles ont été les conclusions de votre réflexion ? “

“ Je ne saurai vous dire, vraiment même en cherchant bien ou je risque d’affabuler et de vous induire en erreur ! “

“ Je vais essayer de vous aider, à la lumière de ce qui s’est passé dans le train : diriez- vous qu’il était pressé - inquiet - sur ses gardes - en proie à une émotion ?

“ Pressé ? Oui on peut le voir comme cela. Inquiet je ne saurai dire ; j’ai plus noté la façon qu’il avait de progresser que l’expression de son visage et je serais d’ailleurs incapable de le reconnaître. “

“ Et sa description générale ? “

“  Un homme un peu enrobé, de la cinquantaine ou moins, pas très sportif. Il portait un pardessus noir ou sombre... “

“ Avait- il un couvre - chef ? “

“ Désolé je ne saurais dire ! “

“ Vous savez j’ai l’habitude de l’imprécision des témoignages et vous avez au contraire été plus précis que la moyenne des témoins. Revenons- en à la victime ; vous affirmez que vous ne le connaissiez pas ? “

“ Comment ! Mais qu’est ce que ça veut dire : je vous ai dit que je n’avais jamais entendu son nom ! “

“ Mettez- vous à ma place : vous aviez tous les deux rendez- vous ici à Mons chez Maître Vonchelles et vous étiez dans le même train... “

“ Si on ajoute qu’il s’agissait d’une affaire d’héritage, je suis bon comme la romaine si je comprends bien! “

“ Ah ! Bon ! Il y avait un héritage où vous étiez tous deux intéressés ?! “

Évariste Bontemps se reprocha amèrement d’avoir ainsi gratuitement éclairé la lanterne du policier Belge. Je donne des verges pour me faire fouetter et cet imbécile risque de me faire des ennuis pour cet héritage. Si en plus il apprend que je suis en rouge à ma banque depuis plus d’un mois...

Il décida de ne pas répondre directement et préféra donner les indications de sa lointaine parenté, non pas avec la victime mais avec l’oncle de ce dernier. 

“ Deschiens, Deschiens, il y a eu un Deschiens qui a été une des pires crapules de l’occupation qui en compta beaucoup ! “

Bontemps resta sur la réserve prudente qu’il avait décidé ; à ce commissaire de se renseigner !

“ Je ne pense pas être à même de vous être encore utile dans cette affaire et je vais vous demander la permission de me retirer. “

“ Vous comptez rester combien de jours dans notre ville ? “

Sous le ton courtois Évariste senti l’insistance du commissaire.

“ J’ai rendez vous demain avec maître Vonchelles et je comptais partir le lendemain pour Paris. “

“ Vous êtes descendu au Régina ? C’est un excellent hôtel et proche de la gare. “

Bontemps nota pour sa propre édification que la Police Belge n’avait pas perdu son temps et qu’elle s’était renseigné sur lui : il en fut quand même surpris et vaguement inquiet.

Son dîner solitaire fut agité de sentiments divers : il était à la fois terriblement impatient de savoir le montant de cet héritage qui lui tombait du ciel et il était vaguement préoccupé des suites policières de la mort de son ex - cohéritier. Cette affaire d’assassinat venait troubler le plaisir qu’il aurait normalement dû éprouver à l’annonce de cet événement inespéré.

Hériter ; lui qui fantasmait sur tout et rien le voilà servi et royalement. La somme d’argent devait être imposante : l’argent mal gagné est toujours productif, du moins c’est ce qu’il pensait instinctivement il s’interdit de fixer un chiffre : le plaisir de la découverte devait rester intact ! N’empêche ce devait être important ; un bandit du calibre de ce Deschiens, pendant l’occupation, avait dû se faire un joli pactole. 

On verra demain coupa Évariste Bontemps : si je pense trop je ne vais pas dormir. Avant de tenter de sombrer dans le sommeil, il alla contrôler la fermeture de sa chambre et par plus de sûreté il mit la clef dans la serrure : me voilà déjà plus prudent pensa- il par de vers lui.

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