Fables et contes traduits de la littérature arabe ancienne
par Fahd TOUMA

 IBN AL-AWZÎ (1186-1256, XII°-XIII° Siècle).
1- Le lion, le loup, et le renard.
Le lion tomba malade.
Tous les animaux sauvages vinrent lui rendre visite, sauf le renard ;  le loup en profita pour le calomnier et raconter des propos mensongers sur son compte.
S’adressant au loup, le lion lui dit :
-« Si le renard se présente, préviens-moi. »
Entre-temps, le renard fut mis au courant des agissements du loup.
Lorsque le renard arriva, le loup avertit le lion. Ce dernier demanda au renard :
-« Où étais-tu, brave cavalier? » Le renard répondit :
-« J’étais parti en quête d’un remède pour Sa Majesté. »
-« Et qu’as-tu trouvé ? » demanda le lion, intéressé.
-« On m’a conseillé le remède suivant : un osselet de la patte du loup. »
Le lion asséna alors un coup de griffe qui mit en sang la patte du loup,  mais ne trouva rien.
Le renard s’éclipsa, puis il vit le loup, les pattes couvertes de sang, il lui dit :
-« Ô toi, le loup à la patte rouge de sang, tu ferais mieux, lorsque tu t’assieds chez les rois, de retenir ta langue. »

2- Le lion, le loup et le renard
(Selon Jean De La Fontaine).

Un lion, décrépit, goutteux, n’en pouvant plus,
Voulait que l’on trouvât remède à la vieillesse.
Alléguer l’impossible aux rois, c’est un abus.
Celui-ci parmi chaque espèce
Manda des médecins: il en est de tous arts.
Médecins, au lion, viennent de toutes parts ;
De tous côtés lui vient des donneurs de recettes.
Dans les visites qui sont faites,
Le renard se dispense, et se tient clos et coi.
Le loup en fait sa cour, daube, au coucher du roi,
Son camarade absent. Le prince tout à l’heure
Veut qu’on aille enfumer renard dans sa demeure,
Qu’on le fasse venir. Il vient, est présenté ;
Et sachant que le loup lui faisait cette affaire :
« Je crains, Sire, dit-il, qu’un rapport peu sincère
Ne m’ait, à mépris, imputé
D’avoir différé cet hommage ;
Mais j’étais en pèlerinage,
Et m’acquittais d’un vœu fait pour votre santé.
Même j’ai vu dans mon voyage
Gens experts et savants ; leur ai dit la langueur
Dont votre majesté craint à bon droit la suite.
Vous ne manquez que de chaleur ;
Le long âge, en vous, l’a détruite :
D’un loup écorché vif, appliquez-vous la peau
Toute chaude et toute fumante :
Le secret, sans doute, en est beau
Pour la nature défaillante.
Messire loup vous servira,
S’il vous plaît, de robe de chambre . »
Le roi goûte cet avis-là.
On écorche, on taille, on démembre
Messire loup. Le monarque en soupa,
Et de sa peau s’enveloppa.
Messieurs les courtisans, cessez de vous détruire ;
Faites, si vous pouvez, votre cour sans vous nuire :
Le mal se rend chez vous au quadruple du bien.
Les daubeurs ont leur tour d’une ou d’autre manière :
Vous êtes dans une carrière
Où l’on ne se pardonne rien.


  AL-SHARÎSHÎ (1162-1222, XII°-XIII° Siècle)

1- Le chasseur et l’oiseau
Un homme chassait des oiseaux, un jour de grand froid. Il égorgeait les oiseaux qu’il attrapait, pendant que des larmes lui coulaient sur les joues, à cause du froid.
Un oiseau dit à son compagnon :
-« N’aie pas peur de cet homme, ne vois-tu pas qu’il est en pleurs ? »
L’autre lui répondit :
-« Ne regarde pas ses larmes, mais vois plutôt ce que font ses mains ! »

2- Le renard et l’hyène

On raconte qu’un jour, ayant soif, le renard aperçut un puits sur la poulie duquel était fixée une corde munie d’un seau à chaque bout. Il s’assit dans un des seaux et fut entraîné au fond, où il se désaltéra.
Advint une hyène qui, regardant au fond du puits, crut distinguer un croissant de lune dans l’eau, et vit un renard tapi à côté.
-« Que fais-tu là-dedans ? » lui demanda-t-elle.
-« J’ai mangé la moitié de cette miche de fromage, lui dit-il, et il reste l’autre moitié pour toi ; descends donc la manger.»
-« Comment faire  pour descendre ? » interrogea-t-elle.
-« Assieds-toi sur le seau du haut » dit le renard.
Elle s’assit dans le seau et son poids l’entraîna vers le fond, pendant que le renard montait dans l’autre seau.
Lorsqu’ils se rencontrèrent au milieu du puits, l’hyène demanda au renard :
-« Qu’est-ce que c’est cela ? »
-« C’est là que nos chemins divergent », répondit le renard.
Ce fut le début d’une inimitié que les Arabes considèrent comme proverbiale.

3- Le loup et le renard
(Selon La Fontaine).

Mais d’où vient qu’au renard, Esope accorde un point ?
C’est d’exceller en tours pleins de matoiserie.
J’en cherche la raison, et ne la trouve point.
Quand le loup a besoin de défendre sa vie,
Ou d’attaquer celle d’autrui,
N’en sait-il pas autant que lui ?
Je crois qu’il en sait plus ; et j’oserai peut-être,
Avec quelque raison, contredire mon maître.
Voici pourtant un cas où tout l’honneur échut
A l’hôte des terriers. Un soir il aperçut
La lune au fond d’un puits : l’orbiculaire image
Lui parut un ample fromage.
Deux seaux alternativement
Puisaient le liquide élément :
Notre renard, pressé par une faim canine,
S’accomode en celui qu’au haut de la machine
l’autre seau tenait suspendu.
Voilà l’animal descendu,
Tiré d’erreur, mais fort en peine,
Et voyant sa perte prochaine :
Car comment remonter, si quelque autre affamé,
De la même image charmé,
Et succédant à sa misère,
Par le même chemin ne le tirait d’affaire ?
Deux jours s’étaient passés sans qu’aucun vînt au puits.
Le temps, qui toujours marche, avait pendant deux nuits
Echancré, selon l’ordinaire,
De l’astre au front d’argent la face circulaire.
Sire renard était désespéré.
Compère loup, le gosier altéré,
Passe par là. L’autre dit : « Camarade,
Je vous veux régaler : voyez-vous cet objet ?
C’est un fromage exquis. Le dieu Faine l’a fait :
La vache Io donna le lait.
Jupiter, s’il était malade,
Reprendrait l’appétit en tâtant d’un tel mets.
J’en ai mangé cette échancrure ;
Le reste vous sera suffisante pâture.
Descendez dans un seau que j’ai là mis exprès. »
Bien qu’au moins mal qu’il pût il ajusta l’histoire,
Le loup fut un sot de le croire :
Il descend ; et son poids, emportant l’autre part,
Reguinde en haut maître renard.

Ne nous en moquons point : nous nous laissons séduire
Sur aussi peu de fondement ;
Et chacun croit fort aisément
Ce qu’il craint et ce qu’il désire.

  AL-IBSHÎHÎ (1388-1446, XIV°-XV° Siècle)
1- La souris du logis et la souris du désert.
On raconte que la souris du logis vit la souris du désert dans la gêne et la peine ; elle lui dit :
-« Que fais-tu ici ? viens avec moi au logis car il y a toutes sortes d’opulence et d’abondance ». Alors la souris du désert
vint avec elle.
Mais voici que le propriétaire du logis qu’elle habitait lui tendit un piège, constitué par une brique au-dessous de laquelle il avait placé un bout de graisse. Elle se précipita pour prendre le gras, la brique lui tomba dessus et l’écrasa. La souris des champs s’enfuit, hochant la tête et, étonnée, elle dit :
-« Certes, je vois une grande abondance, mais aussi une grande affliction ; par conséquent, la santé avec la pauvreté me sont plus douces que la richesse qui conduit à ma perte. »  Puis elle s’enfuit vers le désert.

2- Le rat de ville et le rat des champs
(Selon La Fontaine).

Autrefois le rat de ville
Invita le rat des champs,
D’une façon fort civile,
A des reliefs d’ortolans.
Sur un tapis de Turquie
Le couvert se trouva mis.
Je laisse à penser la vie
Que firent ces deux amis.
Le régal fut fort honnête ;
Rien ne manquait au festin :
Mais quelqu’un troubla la fête
Pendant qu’ils étaient en train.
A la porte de la salle
Ils entendirent du bruit :
Le rat de ville détale ;
Son camarade le suit.
Le bruit cesse on se retire :
Rats en campagne aussitôt,
Et le citadin de dire :
« Achevons tout notre rôt.
- C’est assez, dit le rustique ;
Demain vous viendrez chez moi.
Ce n’est pas que je me pique
De tous vos festins de roi ;
Mais rien ne vient m’interrompre :
Je mange tout à loisir.
Adieu donc : fi du plaisir
Que la crainte peut corrompre ! »
 

3- La vache noyée.
On raconte qu’un homme avait une vache dont il vendait le lait mélangé avec de l’eau.
Un jour, une inondation soudaine surprit la vache qui paissait près d’un ru et la noya.
Son propriétaire était là, à se lamenter sur sa mort ; un de ses fils lui dit alors :
-« Ô Père ! ne te lamente pas ! L’eau que nous avons mélangée  à son lait a débordé et l’a emportée et noyée ».
4- Le cochon, l’ânesse et l’ânon.
Un  Roumi possédait un cochon. Il l’attacha à un pilier puis posa le  fourrage devant lui pour l’engraisser.
Près de ce cochon, se trouvaient une ânesse et son ânon.
Ce dernier ramassait le fourrage qui s’éparpillait autour du cochon  et le mangeait.
-« Ah ! que cette provende est bonne, si elle peut durer », dit-il à sa mère.
-« Fils, lui répondit sa mère, ne l’approche pas, car avec elle il faut craindre le pire ».
Un jour, le  Roumi  décida de tuer le cochon et mit le couteau à sa gorge ; le cochon se mit à se débattre et à frapper  avec ses pattes.
L’ânon, épouvanté, courut alors vers sa mère, lui montra ses dents et lui dit :
-« A moi, mère ! Regarde s’il reste entre mes dents la plus petite brindille de fourrage et ôte-la moi... Il est bien de se contenter de ce que l’on a ».
5- Il aboie comme un chien.
Ou « Les avanies du métier de précepteur »
Un homme raconte :
-« Je passai par quelques habitations très cossues et j’aperçus un homme se tenant à quatre pattes, auprès d’une palissade, derrière un rideau. Cet homme était un précepteur. Il aboyait comme un chien.
Soudain un petit garçon surgit au détour de la palissade.
Le  précepteur le saisit avec poigne.
Je dis au précepteur : - « Explique-moi ta conduite. »
-« Volontiers, dit-il, c’est  un garçon qui déteste qu’on l’éduque et il me fuit, va se réfugier à l’intérieur de la maison, et n’en sort plus. Quand je l’appelle du dehors, il se met à pleurer. Cependant il a un chien avec lequel il a l’habitude de jouer. Donc je fais des aboiements pour l’attirer, alors il sort et vient à ma portée. »

 

  AL-DAMÎRÎ (1341-1405,XIV°-XV° Siècle).
1- Le malade et le scarabée.

Al Qazwînî1 raconte :
Un homme vit un jour un scarabée. Il se dit :
-« Quelle est la volonté de Dieu de l’avoir créé ? Est-ce pour sa belle forme ou pour sa bonne odeur ?... »
Alors Dieu le Très-Haut l’affligea d’une ulcération que les médecins furent incapables de soigner, si bien qu’il désespéra, lui-même, de guérir.
Mais voici qu’un jour il entendit la voix d’un médecin ambulant, un « turuqî » , proposant à grands cris ses services, dans la rue.
-« Amenez-le auprès de moi, ordonna-t-il, afin qu’il considère mon cas. »
-« Que feras-tu d’un « turuqî », lui rétorqua-t-on, alors que les médecins les plus habiles n’ont rien pu faire pour toi ? »
-« Il me le faut absolument, affirma le malade. »
On l’amena .
Lorsque le médecin ambulant vit l’ulcération, il demanda qu’on lui apportât un scarabée.
Les assistants se mirent à rire.
Le malade se souvint alors des propos qu’il avait tenus un jour en voyant le scarabée. Il leur dit :
-« Apportez-lui ce qu’il demande, il connaît bien son métier . »
Ils lui apportèrent le scarabée. Le médecin le brûla et répandit ses cendres sur l’ulcération. Et celle-ci guérit, avec la permission de Dieu Très-Haut.
Le malade dit alors aux assistants :
-« Sachez que Dieu Très-Haut a voulu m’apprendre que la plus vile de ses créatures peut devenir le remède le plus puissant. »

2- Nous ne pouvons oublier.
On raconte que, dans la période de l’ignorance, deux frères partirent en voyage. Ils firent halte à l’ombre d’un arbre près d’une terre caillouteuse. Dans l’après-midi, un serpent portant un dinar sortit de sous les cailloux et jeta la pièce entre leurs mains. Ils se dirent :
- « Cela doit provenir d’un trésor caché par ici. »
Ils restèrent trois jours dans ce lieu, et le serpent sortait chaque jour leur apportant un dinar.
L’un des frères dit à l’autre :
- «  Jusqu’à quand faut-il attendre ce serpent ? Tuons-le et creusons pour trouver ce trésor et l’emporter. » Mais son frère l’en empêcha et lui dit :
-« Qu’en sais-tu ? Peut-être seras-tu à bout de force avant de trouver cet argent. »
Mais l’autre ne l’écouta pas ; il prit une hache et attendit le serpent. Lorsque celui-ci sortit, il lui asséna un coup qui blessa sa tête mais sans l’achever.
Alors le serpent s’abattit sur lui, le tua et rentra dans son terrier.
L’homme enterra son frère et resta jusqu’au lendemain ; le sepent sortit, la tête bandée, mais sans le dinar habituel.
- « Ô toi, dit l’homme, je jure par Dieu que je ne me suis pas réjoui du mal qui t’a été fait, j’ai même interdit à mon frère d’agir comme il voulait, mais il ne m’a pas écouté. Si tu veux bien demander à Dieu qu’il nous soit témoin : tu ne me feras pas de mal, je ne te ferai pas de mal, ainsi tu reviendras  à ton ancienne habitude. »
Mais le serpent refusa. -« Pourquoi refuses-tu? lui demanda l’homme. »
-« Parce que, répondit le serpent, je sais que tu ne saurais garder ta bienveillance envers moi, ayant sous tes yeux la tombe de ton frère ; et ma propre bienveillance envers toi aura une fin également, car ma blessure ne cesse de me faire souffrir. »
3- Voici votre homme, saisissez-le.
On raconte qu’un homme vint à Sulaymân fils de Dâoud - que le salut leur soit accordé sur notre prière- et lui confia:
-«  Ô Messager de Dieu, j’ai des voisins qui me volent mes oies. »
Sulaymân appela alors tous les fidèles à la prière ; ensuite il les exhorta, disant :
-« Ô croyants, l’un d’entre vous vole les oies de son voisin, puis il entre dans ce lieu de recueillement avec les plumes sur la tête. »
Un homme porta sa main à sa tête ; Sulaymân dit alors :
-« Voici votre homme, saisissez-le. »

  IBN QUTAYBA (828-889, IX° Siècle).
1- Le prince, le meunier et l’âne.
Parmi les membres de l’honorable tribu arabe de Qurayë, l’on cite Mu‘âwia, le frère de ‘Abdel-Malek ben Marwân.
Un jour Mu‘âwia attendait chez un meunier, à l’une des portes de Damas, son frère le Calife ‘Abdel-Malek. Il observa l’âne du meunier qui tournait la meule, un grelot attaché au cou ; il interrogea le meunier :
-« Pourquoi as-tu accroché au cou de l’âne un grelot ? »
-« Il m’arrive, répondit le meunier, de m’endormir ou d’avoir un petit somme ; si je n’entends plus le tintement du grelot, je sais que l’âne ne tourne plus la meule, alors je le gronde. »
-« Mais dis-moi, interrogea Mu‘âwia, comment sauras-tu si l’âne s’arrête et hoche la tête ainsi ? » et il joignit le geste à la parole.
-« Sire, lui dit le meunier, où trouverai-je un cerveau aussi brillant et intelligent pour mon âne, que le cerveau de Votre Altesse ? »
2- Ô mon cheikh, que tu es sage !
Un passant portait sur ses épaules une perche aux bouts de laquelle étaient suspendues deux besaces ; le poids l’écrasait. Dans une besace il y avait du blé et dans l’autre de la terre.
-«  Qu’est-ce que tu portes ? » lui demanda-t-on.
-«  J’ai équilibré le poids du blé, répondit-il, en mettant de la terre dans la deuxième besace, car la perche penchait d’un côté. »
Un homme prit alors la besace remplie de terre et la vida ; il divisa le blé en deux parties et en mit une dans la besace vide, et dit au porteur de reprendre sa charge.
Ce dernier, constatant l’allégement, dit à l’homme :
- « Ô šayË (cheikh) que tu es sage.»
3- La bride est à moi.

 On lâcha les chevaux de course, et l’un d'eux dépassait les autres. Un des spectateurs se mit à crier, à acclamer le cheval et à sauter de joie. Un homme à ses côtés lui demanda :
- «  Jeune homme, est-ce que ce cheval t’appartient ? »
-«  Non, répondit-il, mais la bride est à moi .»



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