Tératome kystique bénin de l'ovaire
(kyste dermoïde, dysembryome bénin)
Texte extrait de : " E. Philippe, C.Charpin. " Pathologie gynécologique et obstétriclae ". pages 191-193. Masson 1992.
Contrairement à leurs homologues testiculaires, les tératomes adultes de l'ovaire sont fréquents et en général bénins.
Ils représentent 16 % des tumeurs ovariennes, apparaissent à
un âge moyen de 34 ans, prédominent à droite, sont bilatéraux dans 16 % des cas, sont découverts au moment d'une
grossesse dans 13 % des cas et se cancérisent secondairement
dans 1,1 % des cas.
La chromatine sexuelle des tératomes kystiques bénins est
toujours présente. L'étude cytogénétique et l'étude des variantes
électrophorétiques enzymatiques des cellules normales et tumorales, prouvent l'origine germinale des tératomes kystiques et
leur naissance à partir d'une seule cellule germinale après la
première division méïotique.
Les tératomes kystiques bénins de l'ovaire naissent d'une cellule
germinale, se différencient en dérivés ectodermique, mésodermique et endodermique, pour former un tératome complexe, multitissulaire, qui se simplifie en un tératome simple, unitissulaire, le kyste dermoïde.
Ainsi, chez la fillette avant 10 ans le tératome est presque
toujours complexe et l'âge moyen du diagnostic du tératome
complexe précède de 4 ans celui du tératome simplifié (32 et 36
ans respectivement). Avec l'âge, le tératome se simplifie
en faveur des dérivés ectodermiques, d'où l'aspect de kyste dermoïde simple ou associé à du tissu nerveux ou respiratoire. La
portion complexe du tératome se réduit à la protubérance de
Rokitansky.
L'origine germinale des tératomes kystiques explique leur localisation préférentielle dans l'ovaire et les localisations rares,
dans la racine du mésentère, la région de l'ouraque et de l'allantoïde (correspondant aux territoires d'origine et de migration
des cellules germinales chez l'embryon), ou encore dans la
trompe utérine, l'endomètre et l'endocol (correspondant aux territoires de migration des cellules germinales adultes). Seules les
localisations exceptionnelles du tératome, base du crâne, région cervicale antérieure, médiastin, s'expliquent difficilement
par un trouble de migration des cellules germinales, à moins
d'admettre un déplacement ectopique de ces cellules, notamment
par voie sanguine.
La fréquence relative des tératomes kystiques bénins par rapport aux autres tumeurs ovariennes, se situe entre 10,9 % et
18,2 %. Cette fréquence varie néanmoins en fonction
de l'âge, de telle manière que les tératomes bénins représentent 22,9 à 25 % des tumeurs et kystes de l'ovaire avant 15
ans et même 38 % avant 20 ans.
L'âge de dépistage des tératomes bénins de l'ovaire varie
entre 3 mois et 86 ans. L'âge moyen est de 34 ans. Soixante
dix-sept à 91,6 % des cas sont diagnostiqués entre 15 et 50
ans. Les deux ovaires ont le même risque d'atteinte ou, au contraire, les tératomes ovariens droits (48%)
seraient plus fréquents que les gauches (36%) et 15 %
ou 16 % seraient bilatéraux (7,9). En cas de bilatéralité, les
deux tératomes sont le plus souvent évidents à l'examen macroscopique. Néanmoins, l'un des tératomes peut être de
taille très réduite, être enfoui au sein du parenchyme ovarien
(Pl. 21. 4) et échapper à la simple inspection de l'ovaire.
Ceci explique la possibilité d'une bilatéralité différée, découverte lors d'une deuxième laparotomie, en particulier chez
les enfants. Les tératomes se révèlent par des douleurs pelviennes, une masse palpable ou des métrorragies, parfois par
des complications : torsion, rupture (11 cas signalés en
1987), infection. Dans certains cas ils sont mis en évidence
par un examen systématique, une laparotomie pour kyste
banal de l'ovaire controlatéral ou une rupture de la vessie et
du rectum (30 cas en 1987). La rupture du kyste dermoïde
peut provoquer une péritonite chronique ou une granulomatose péritonéale résorptive. Parfois, les tératomes se manifestent par une anémie hémolytique ou une activité endocrine éventuelle d'un des tissus tumoraux.
La radiographie
(80% des diagnostics) est plus performante que l'échographie. La structure tumorale paraît hétérogène dans 2/3 des
cas, homogène dans 1/3 des cas.
La majorité des tératomes kystiques bénins mesurent entre 5
et 15 cm (75 à 80 % des cas). Néanmoins, ils
peuvent atteindre jusqu'à 45 cm.
A la laparoscopie le tératome apparaît comme une tumeur
arrondie, ovoïde ou pyriforme, habituellement unilobée. Sa
surface est lisse, brillante, de coloration blanchâtre, parcourue par des volumineux vaisseaux et parfois tâchetée de
plages jaunâtres.
Lors d'une torsion éventuelle le tératome
est de couleur rouge hémorragique à aubergine. Les adhérences sont exceptionnelles sauf en cas de perforation. La tumeur est fluctuante à la température du corps et de ce fait
elle peut être confondue avec des kystes d'une autre nature.
Après exérèse le contenu du kyste se solidifie si la température ambiante est inférieure à 25°. La tumeur prend alors une
consistance pâteuse caractéristique permettant le diagnostic
avant l'ouverture.
A la coupe, le kyste est bien limité, uniloculaire et dans
10% des cas pauciloculaire ou exceptionnellement multicentrique. La cavité contient du matériel sébacé correspondant à
des squames malpighiennes macérées, à de la graisse, des
glycérides des acides gras, du cholestérol, mêlés à une quantité variable de poils dont la couleur est sans rapport avec
l'âge et le système pileux de la malade. Suivant la proportion de ces divers constituants, le contenu du kyste présente
une coloration allant du blanc au jaune. La paroi endocavitaire, difficilement débarrassée de son contenu très gluant,
est généralement lisse et régulière à l'exception d'une protubérance bien décrite par Rokitansky, de consistance ferme,
contenant des foyers calcifiés ou ossifiés. La protubérance
peut être hérissée de dents (19 %), canines et molaires
surtout. La constatation de dents ou de touffes de poils permet le diagnostic de tératome en cas d'infarcissement total de
la tumeur ovarienne (11 % des cas) ou de tumeur maligne
associée. Des kystes séreux associés, parfois révélateurs, résultent en général d'ectasies de cavités épendymaires.
Dans notre matériel 57 % des tératomes contiennent des
plages solides périphériques : zones blanchâtres de consistance encéphaloïde contenant parfois des cavités à liquide séreux
(correspondant à du tissu nerveux et à des ébauches épendymaires) ; plages bleuâtres cartilagineuses (bronchiques) ;
plages denses osseuses ; kystes à contenu muqueux (entéroïde) ; plages colloïdes grises (thyroïde). Le tout peut être remanié par des accidents nécrotiques jaunâtres ou hémorragiques, rouges ou chocolats.
A l'examen histologique les tératomes kystiques bénins de
l'ovaire comportent en principe les dérivés matures des trois
feuillets embryonnaires.
Le tissu cutané et ses annexes sont presque toujours présents dans les tératomes, seul constituant (30 % des cas) ou
en quantité variable par rapport aux autres tissus. Le revêtement malpighien est en général non kératinisant et non parakératosique, et son stroma contient un nombre variable de
follicules pileux, de glandes sébacées et de glandes sudoripares. Parfois, le revêtement malpighien peut être hyperplasique. Au contraire, il peut être atrophique et, souvent alors,
en continuité avec un revêtement cylindrique de type respiratoire, intestinal ou aplati. Ce revêtement est dans 1/4 des
cas remanié par un granulome de résorption à cellules
géantes multinucléées, devenant parfois très intense et granulomateux, tuberculoïde, notamment au contact de follicules pileux. Dans 6 % des cas on note dans le hile ovarien,
près de la paroi dermoïde, de nombreuses cavités lymphatiques dilatées (Pl. 21. 6), bordées de cellules géantes multinucléées (à la manière d'une adénopathie résorptive après
lymphographie).
Le tissu nerveux est le constituant le plus fréquent après le
revêtement malpighien (38 %). Il peut s'agir de
simples amas de tissu glial, parfois différenciés (écorce cérébelleuse), entourés souvent d'ébauches cartilagineuses et osseuses. Il peut s'y associer des cavités épendymaires (19%
des cas), parfois des plexus choroïdes, voire des
ébauches rétiniennes. Ces structures sont en général indépendantes des fibres nerveuses périphériques (48%) et des
cellules ganglionnaires nerveuses (22 %).
Le tissu respiratoire (48 %) peut être représenté par un
simple revêtement glandulaire pseudo-stratifié et cilié, mais
des ébauches de bronches avec leur muqueuse et leurs pièces
cartilagineuses ne sont pas rares.
Les tissus digestifs (13 %) sont parfois à maturation régionale très nette : tube gastrique à glandes pyloriques et fundiques, anses intestinales (à cellules caliciformes, de Paneth
et argentaffines) avec tunique musculaire et plexus myentérique. Des ébauches salivaires, pancréatiques et hépatiques
peuvent s'observer.
Le tissu thyroïdien (14 %) est décelé surtout à l'examen microscopique. Dans ce cas il est dépourvu de rôle fonctionnel
appréciable et associé de préférence à du tissu bronchique.
Lorsque le tissu thyroïdien est apparent à l'examen macroscopique (2,7 %), on l'appelle goitre ovarien (struma ovarii). Le goitre ovarien se présente sous trois aspects : tissu
thyroïdien prédominant dans un tératome kystique bénin
(50% des cas) ; tissu thyroïdien dans un kyste pluriloculaire
banal (35 %) ; goitre ovarien pur (15 %).
Le goitre ovarien
subit des modifications pathologiques identiques à celles de
la glande thyroïde : vésicules à différents stades d'activité (hypersécrétion, stockage), hyperplasie nodulaire, accidents hémorragiques, fibreux, cholestéatomateux, lymphomateux
(maladie de Hashimoto). Les goitres ovariens peuvent s'associer à une ascite ou à un syndrome de Meigs. Le
tissu thyroïdien ovarien peut se cancériser, mais la plupart
des cas rapportés correspondent en réalité à un carcinoïde
stromal, bénin.
Le traitement consiste en une exérèse aussi limitée que possible afin de préserver au maximum le tissu ovarien sain,
compte tenu de l'âge relativement jeune de la malade et la
fréquence de la bilatéralité. Cependant, cette conduite n'est
pas toujours réalisable en raison du siège médullaire électif
des tératomes et de leur taille, entraînant une atrophie de la
corticale ovarienne.
Si le tératome est unilatéral, l'exérèse simple est complétée
par une exploration minutieuse de l'ovaire opposé. La
simple inspection de l'ovaire n'est pas toujours suffisante
puisque certains tératomes peuvent être de taille réduite et
enchâssés dans la médullaire ovarienne sans en modifier la
taille et l'aspect extérieur. L'échographie per-opératoire devrait aider au diagnostic. L'incision ovarienne peropératoire
de l'ovaire controlatéral est destinée à éliminer tout tératome
infraclinique et à éviter la désagréable surprise d'une bilatéralité différée, certes rare, mais dont l'importance n'échappe
pas, surtout chez l'enfant et la femme désireuse de maternité.
Cependant, l'utilité de cette incision peut se discuter aujourd'hui en raison des progrès de l'imagerie médicale.
A la nécessité d'une conservation relative du tissu ovarien
s'opposent en pratique deux facteurs : la méconnaissance possible du diagnostic exact du kyste lors de l'intervention et le
risque de complication péritonéale en cas de rupture. Le premier facteur peut être évité par l'examen macroscopique et
éventuellement histologique extemporané. La rupture spontanée ou peropératoire d'un kyste doit entraîner une toilette
abdominale minutieuse afin d'éviter les granulomes de résorption qui peuvent aboutir à des adhérences péritonéales
étendues et à leurs complications.
Enfin, les tératomes kystiques bénins de l'ovaire découverts
chez une femme au 1e et au 2e trimestre de la grossesse doivent être extirpés afin d'éviter les complications fréquentes
lors d'une gravidité. Les tumeurs diagnostiquées au cours du
3e trimestre de la grossesse ne devraient pas être opérées
pour éviter un accouchement prématuré.